Le transport de A. H.
Siméon crut suffoquer. L'air emprisonné martelait ses côtes. Il vit les yeux de l'homme. Pour la première fois. Il vit les pupilles gris-vert sous les paupières bouffies et la veine qui les bordait comme un fil blême. Les yeux étaient morts. Mais soudain, dans la cendre froide, flamboya, vif et ténu, un cristal de lumière. Puis une fumée grise recouvrit à nouveau le regard de l'homme. Alors Siméon reprit son souffle. Sa voix jaillit, rauque et tendue. Les mots le traversèrent dans un grand frémissement.
- DEBOUT ET MARCHE. J'ai un mandat d'arrêt. Né le 20 avril 1889. Au nom de l'humanité. Pour les crimes ici dénoncés. A la face de Dieu. DEBOUT. Nous partons. Nous partons sur-le-champ. Pour vous rendre au monde, Herr Hitler.
George Steiner
Hitler retrouvé vivant dans un marais d'Amazonie ? Roman des paradoxes, le Transport de A. H. se révèle un étonnant thriller métaphysique qui, de bout en bout, tient le lecteur en haleine. Quand la littérature ne sert plus à résoudre les énigmes de l'Histoire, mais simplement joue à les fabriquer. George Steiner s'était affirmé comme l'un des meilleurs essayistes de notre époque : il montre ici qu'il est aussi un romancier talentueux.
09/1991