Mathieu Gabella, scénariste de Le mystère de Nemo, répond à nos douloureuses interrogations...
Personnellement, j'ai pas les références, mais on me signale que le scénario est assez proche de celui de Lost : l'arrivée en ballon, l'île qui est un sous-marin, avec orientation militaire. Tu penses porter plainte contre les scénaristes ? Ou alors demander aux héritiers de Jules Verne de porter plainte ?
Mathieu Gabella : Je pense qu'effectivement les scénaristes de Lost ont puisé leur inspiration, entre autres, dans l'Île Mystérieuse, peut-être même sans l'avoir lu. C'est une de ces histoires que tout le monde connaît (ou croit connaître), sans jamais avoir feuilleté le livre. En fait, je ne leur en veux pas : j'adore Lost, et c'est en y pensant que j'ai accepté cette adaptation quand Jean David Morvan me l'a proposée. (voir la chronique de Le mystère Nemo)
ActuaLitté : Comment as-tu abordé le thème de cette BD ? Une relecture de l'Île mystérieuse ?
Mathieu Gabella : C'est tout à fait ça, une relecture très très libre, en fait, et mettant l'accent sur l'histoire de Nemo. C'est donc, à l'origine, une adaptation commandée pour Ex-Libris, collection d'adaptations chez Delcourt, initiée par JD Morvan. En lisant le roman, je me suis aperçu que beaucoup d'éléments me plaisaient, comme le mélange des genres robinsonnade/fantastique, la présence de Nemo, les quelques indices sur son passé, et, bien sûr, certaines péripéties vécues par les personnages. Mais beaucoup d'autres choses me posaient problème. Les personnages étaient tous des parangons de vertu assez ennuyeux, et surtout, la dramaturgie était problématique : j'ai énormément de respect pour l"univers de Jules Verne, son imaginaire, mais ce livre-là a clairement été écrit au jour le jour, c'est une succession de péripéties sans beaucoup de liant entre elles, ponctuées de quelques grosses coïncidences, dont la fin, qui est juste... une des plus énormes ficelles qu'il m'ait été donné de voir en littérature !! Les lecteurs d'aujourd'hui ne m'auraient pas pardonné d'en faire une adaptation fidèle, j'en suis sûr, on ne peut pas user de recettes aussi visibles de nos jours... Donc, j'ai dit à Delcourt et JD : je prends tout ce qui me plaît et qui caractérise le roman, et je le réassemble, je l'extrapole, en essayant de donner plus de cohérence à l'ensemble, mais tout en respectant l'esprit de Verne. Pas de nucléaire, pas de monstre préhistorique sur l'île...
Jules Verne (pas Mathieu, hein...)
ActuaLitté : C'était ta première expérience avec les deux camarades Kenny et Mazi ? (si oui, c'est aussi douloureux qu'on le dit ?)
Mathieu Gabella : Amis poètes bonsoir :-) ! [NdR : Tu as l'esprit tordu, Mathieu... :-p] C'est ma première expérience avec Kenny et Maz, et c'est super ! Kenny a un sens incroyable de l'action, chose qui était indispensable pour la mise en scène de cette BD, mais il insiste aussi beaucoup sur le jeu des personnages dans les scènes plus intimes, il vient avec des idées, il prend des initiatives qui sont excellentes. Le travail de Maz est riche, et c'est ce que j'aime en couleur, ça nous fait sortir de la bd d'usine. Bref, c'est l'équipe parfaite ! Enfin, tous les deux, ils s'éclatent sur les designs, ce qui était, là encore, une nécessité : l'univers de la jungle, et plus encore, celui de Nemo, nécessitent un travail de création énorme, pour réussir l'immersion parfaite !!
ActuaLitté : Quel est ton personnage favori dans ce titre ?
Mathieu Gabela : Nemo, évidemment :-) C'était aussi une de mes sources d'agacement dans le livre original : Jules Verne en dit trop sur lui, ou pas assez. Il hésite ! Après des heures de lecture, quand la présence de Nemo est enfin confirmée (ce que tout le monde sait, le livre est mythique pour cela), il nous explique un peu sa vie, nous dit trop vite que le Capitaine se repend de ce qu'il a fait aux heures les plus noires de son existence, et qu'il a cherché, dans le sauvetage de nos naufragés, une forme de rédemption. Quelques indices sur son identité, sur la mort de sa femme... et il meurt ! De vieillesse, en plus ! Attendre des décennies bloqué dans son île, pour mourir juste après qu'on l'ait trouvé, pas de bol!!!
Bref, tout ça était ultra frustrant ! Moi, je voulais savoir par quoi il était réellement passé, comment lui était venue l'idée du sou marin, avec quels moyens il l'avait construit, qui étaient les hommes qui l'avaient suivi !!??? C'est donc ce travail-là que j'ai fait : construire son histoire, mais à partir de ce que Verne dit. Je me suis « intéressons nous à l'histoire de l'Inde, puisqu'il est indien, et que c'est la lutte contre les Anglais qui l'ont poussé, sans que Verne en dise plus, à construire le Nautilus » Et c'est comme ça que j'ai trouvé des choses... intéressantes :-)
Il n'y a pas qu'un intérêt gratuit à raconter son histoire : dans cette version, j'ai réellement voulu que l'histoire des naufragés et de Nemo se motivent, se justifient l'une l'autre. Donc, j'espère ne pas trop en dire, mais ici, dans cette version, Smith et ses copains ne sont pas là par hasard... après, si c'était voulu, comment ont-ils fait, en ballon, pour atterrir sur CETTE île, vous le saurez plus tard...
Pour rassurer les lecteurs, je dirais juste que je ne me serais pas risqué à écrire tout ça si je n'avais pas été content des idées que j'avais trouvées...
Nous avons même, avec Kenny et Maz, réfléchi à la technologie qui environne Nemo, en se basant, là encore, sur ce que nous dit Verne. Ce dernier ne parle pas de vapeur, mais d'électricité. C'était intéressant, là encore, puisqu'on associe Verne au steampunk. Nous voulions faire quelque chose d'un peu différent, l'idée était toute trouvée : au lieu d'extrapoler, de magnifier le design des machines à vapeur, on allait faire la même chose, mais avec les appareils électriques de l'époque !!! Kenny et Maz ont même trouvé un nom au genre : le Teslapunk !
Là, c'est Mathieu
ActuaLitté : Le seul personnage féminin se fait torturer et finit par en mourir : un message particulier à faire passer auprès de la gent féminine ?
Mathieu Gabella : Non :-) Je regrette presque cette scène qui en montre trop, d'ailleurs, et qui a un côté érotique que j'ai du mal à assumer : ce n'est pas ma tasse de thé, c'est plus l'univers de Kenny. Mais ce passage vient de ce que nous dit Jules Verne : les Anglais ont tué la femme de Nemo... C'est peut-être notre ami Jules qui avait un souci avec elles, qui sait ? :-) En ce qui me concerne, je suis un macho passif : je n'ai rien contre les femmes, mais j'ai du mal à travailler avec des personnages féminins. J'essaie de ne pas tomber dans le piège de la potiche érotique (sauf, peut-être un peu, dans cet album) mais je ne donne jamais une place très enthousiasmante aux personnages féminins dans mes séries, c'est vrai. C'est un défaut sur lequel je travaille : j'ai un one shot avec un perso féminin dans le premier rôle, et le dernier tome de la Licorne offrira des places de choix aux femmes qui étaient un peu restées dans l'ombre de mes héros médecins... et le deuxième tome de Nemo réserve une surprise. Bref, mon cas n'est pas désespéré !!!