L'histoire est terrible, toute inscrite dans ce « La » du titre. Elle raconte l'existence d'une sœur, celle de l'auteur, lointaine et secrète, absente de la famille le plus souvent. Tenue à distance. Rarement évoquée, Françoise ne vit que par le silence qui l'entoure jusqu'à ce que ce dernier ne devienne insoutenable, prenne corps dans le récit de , son frère. "Au vrai, elle est pour moi un vacarme assourdissant, en témoignent les innombrables otites dont enfant mes oreilles ont été affectées." Et atteigne le lecteur en plein cœur.
Née en 1938, Françoise est la sœur aînée, mise à l'écart depuis la naissance de l'auteur. "Elle est partie, explique ma mère, à cause de la menace de mort qu'elle représentait pour le bébé à naître. Je suis ce bébé." Victime d'une encéphalite convulsivante à dix mois, elle cesse d'être une enfant ordinaire. Son comportement agressif l'isole des autres et épuise ses parents. Internée en clinique puis au couvent ("Ma mère a toujours oscillé entre deux secours"), Françoise, malgré les traitements, demeure agitée. Une lobotomie pratiquée à l'adolescence, le 21 juin 1952, six mois avant la commercialisation des premiers neuroleptiques, la condamne et l'exclut totalement de la vie familiale, jusqu'à sa mort en 2014.
"Ni morte, ni vivante, ni vraiment absente ni tout à fait présente […] Elle envahit les pensées de chacun, elle est partout, elle obsède à chaque instant."
A l'aide des carnets rédigés par sa mère, l'auteur, dans un style épuré, reconstruit la vie de sa sœur, évoque la chambre "d'une disparue, d'une revenante", comble l'absence de celle qu'il n'a pas connue véritablement, manifeste son effroi, son inquiétude et sa culpabilité face à cet abandon, "cette distance confortable" et par l'écriture, réhabilite une sœur, lui donne la place qu'elle n'a jamais pu occuper dans la famille, si excessivement liée à la mère, "quand je vois la sœur, je vois la mère, deux mères ou deux sœurs, je me demande", met en mots une souffrance et une solitude immenses.
L'auteur remonte, recherche dans l'histoire de ses grands-parents et parents, notamment de sa mère, la faille, l'origine du malheur ("une intoxication au lait de vache pasteurisé […] La malédiction"), un lointain atavisme. Par petites touches comme par effleurement, il laisse entrevoir Françoise, enfant, bouleversée par les grossesses de sa mère, puis vers 12 ans, arrachée à sa famille pour être placée en asile psychiatrique puis chez les sœurs de la Visitation et dans la maison Saint-François tenue par des Franciscaines et de nouveau en hôpital, jusqu'à son admission en maison de retraite.
Sans jamais s'attarder, comme si Pascal Herlem se tenait au loin, comme s'il fallait contenir la souffrance, sans indécence, il survole l'existence de Françoise en courts chapitres, en courtes phrases. Dire l'essentiel, avec toute la brutalité et la précision des mots, sans apporter de compléments pour nuancer ou adoucir. Une écriture sèche, cruelle qui éreinte le lecteur, l'indispose et le bouleverse. Pris dans cette intimité familiale, il est mis à mal, effrayé par tant de violence, presque empreint lui-même d'un sentiment de honte et de culpabilité, d'une douleur profonde, même si les dernières pages laissent entrevoir une fine lumière et l'apaisement. « Alors, pour la première fois, il m'a semblé que je pouvais en rester là. Et compter sur le temps à venir pour repenser à toute cette histoire tranquillement. »