Ce livre n' « explique » pas, il laisse parler. Tu cherches quoi ? assemble des voix qu’on n’entend jamais : routiers qui coupent le moteur entre deux livraisons, commerciaux « de passage », joggeurs qui s’étirent un peu plus longtemps que prévu, retraités, « homo de la campagne », patrons pressés, couples, personnes trans ou travesties — une petite société parallèle qui se croise sur des aires, dans des bois, au bord d’étangs.
Le dispositif est simple : des monologues brefs, qui dessinent une cartographie sensible de la drague anonyme et des sociabilités discrètes. Pas d’analyse savante, pas de surplomb ; une écoute, des détails, un montage.
#[pub-1]
Une cabane en bois avec sa table qui devient lit, des murs griffonnés de numéros et d’invitations, un urinoir ancien « tout en longueur » sans séparations, un ciel nocturne rose à cause des serres environnantes, transformant l’étang en décor presque irréel. On installe la scène, avec l’ingéniosité des usages.
Puis viennent les codes. Ici, on lit un monde par signes : un coup de phare pour repérer, une portière claquée qui signifie « occupé », la cigarette qui ralentit l’allure près d’un banc, la capuche tirée dans le parc, des vitres teintées. Le livre montre ces micro‑rituels comme on montrerait des règles d’un jeu urbain : pas pour en faire un manuel, mais pour rappeler que toute communauté, même provisoire, s’invente des règles de politesse, de prudence et d’accord tacite.
#[pub-2]
On croise un « commercial dans la semence » qui, non sans ironie, parle de double distribution et de main calleuse ; un petit groupe d’habitués qui se retrouve à la table en pierre avec un bâton pour écarter ronces et fougères, « entretenir le site » et partager les nouvelles du jour avant de s’égayer dans les sentiers. Un soigneur de chats errants — Nicolas — qui vient nourrir Lèchouille et ses congénères, et traverse des scènes qu’il décline avec bonhomie. On lit aussi des vies conjugales arrangées au long cours, des solitudes assumées, des envies tenaces. Le ton varie, souvent drôle, parfois désabusé, jamais plaintif.
Le recueil n’édulcore pas les zones sales : l’ivresse de la nuit, l’inquiétude quand « ça peut craindre », l’irruption des élus et des amendes sur le « chemin des coquins » soudain recyclé en sentier balisé, ou les consommations festives qui circulent. On lit des précautions, des peurs, des joies très concrètes, et l’inventivité pratique qui permet de continuer — ailleurs, autrement — quand la signalétique se durcit.
#[pub-3]
Oralité assumée, saillies crues, expressions datées, phrases de bistrot ou du chantard. On entend la géographie sociale, les métiers, les âges, les postures. Le livre est fort aussi quand il décentre la question du sexe pour parler du vivre : l’odeur des pins après la pluie qui réveille des cours d’école, un troupeau de sangliers qui déboule à l’aube, la mer de lumière des serres au loin — autant d’images qui replacent ces rendez‑vous dans un monde partagé avec des bêtes, des plantes, des humains « qui se faufilent ».
Pas de thèse, des vies. Et, mine de rien, une archive des masculinités contemporaines, loin des clichés héroïques comme des caricatures, où la pudeur n’est pas l’ennemie du désir.