#Essais

La chute de Géronimo

Samuel E. Kenoi, Morris Opler, Frédéric Cotton

Aux alentours de 1930, l'anthropologue Morris Opler demande à Samuel Kenoi, un Apache Chiricahua d'une soixantaine d'années, de lui raconter la dernière reddition du légendaire Géronimo, le 4 septembre 1886. Mais Samuel Kenoi, enfant à cette époque, loin de reprendre à son compte l'" épopée de Géronimo ", se livre à une attaque rageuse et amère contre le fier guerrier, l'accusant d'être responsable de la déportation par les Blancs - traîtres comme toujours - de tous les Chiricahuas, hommes, femmes et enfants, comme prisonniers de guerre en Floride et en Oklahoma, partis pour un exil de plus de vingt-cinq ans. Le récit vif, ramassé et poignant, mâtiné d'un humour cabotin, des souvenirs de cet homme, fait remonter en surface une parole pour ainsi dire jamais entendue, une voix qui perce après - et malgré - la dévastation. Si l'on connaît les discours de fameux chefs indiens parlant au nom des leurs - dont Géronimo dans ses célèbres Mémoires -, ici surgit le propos singulier d'un homme sans auréole. La réalité y reprend ses droits, pénible, complexe et embrouillée, mais Kenoi parvient ainsi à détourner les regards fascinés par les brillantes icônes et force, pour le moins, à la réflexion.

Par Samuel E. Kenoi, Morris Opler, Frédéric Cotton
Chez Anacharsis

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Editeur

Anacharsis

Genre

Ethnologie et anthropologie

Au matin pendant qu’ils mangeaient ils virent au-delà des plaines quelque chose prendre forme dans le soleil levant très loin sur l’argile aux teintes d’acier du lac de sel. Au bout d’un moment ils virent que c’était un cavalier. Il était peut-être à un mile de distance et il approchait dans une succession de minces et tremblantes images qui augmentaient soudain de longueur là où le sol était submergé puis rétrécissaient et s’agrandissaient de sorte que le cavalier semblait s’avancer puis reculer puis repartir en avant.


Cormac McCarthy – Le Grand Passage

 

 

Géronimo l’Apache, le plus grand païen que ce continent ait jamais engendré est enfin parti au Pays Bienheureux des Chasses Éternelles, où il créera encore bien des ennuis. Dans les annales de l’espèce humaine, il n’y a pas de meilleur portrait d’une brute parfaite. S’il y a quelque chose de vrai dans la théorie de la transmigration des âmes, Géronimo doit avoir été la réincarnation d’un tigre du Bengale, encore que ce ne soit pas très gratifiant pour le tigre. The Philadelphia Enquirer, 1909, édition du jour de la mort de Géronimo

 

 

Notice


En 1897, un jeune homme se trouve en caserne à Fort Grant, en Arizona, dans le 7e de cavalerie, le fameux régiment du général Custer qui avait été exterminé en 1876 à la bataille de Little Big Horn. Il s’agit d’Edgar Rice Burrough, qui fera paraître les premiers épisodes de son Tarzan en 1912. De son séjour en Arizona, mollement à la recherche des derniers et hypothétiques « Apaches hostiles », il garde essentiellement le souvenir mitigé d’une période de dysenterie récurrente. Mais ce faiseur de légendes saura aussi exploiter son expérience de l’Ouest dans plusieurs romans participant à la montée en puissance du western comme genre cinématographique et littéraire au début des années trente : ce sera The War Chief (1927), puis Apache Devil (1933), deux romans qui mettent en scène les Apaches et, singulièrement, Géronimo. La littérature populaire se faisait là le relais d’une légende déjà ancienne et appelée à une très longue et tenace postérité.

 

 

Géronimo, avant que d’être un Apache Chiricahua parmi d’autres, est une légende de l’Ouest américain, un mythe né du vivant même de son héros. Qu’il s’agisse d’articles parus dans des journaux racistes et sensationnalistes tels que le Tombstone Epitaph, ou le Tucson Citizen des années 1880, qui le présentent pour la première fois comme un monstre assoiffé de sang, ou, plus tard, de Géronimo luimême signant complaisamment des autographes (contre monnaie sonnante et trébuchante), ou encore dictant une histoire de sa vie dédiée (avec quelque ironie, peut-être) au président Théodore Roosevelt en 1906, Géronimo est un des tout premiers phénomènes médiatiques de masse. Le symptôme le plus évident en est la profusion de photographies que l’on connaît de lui, et qui le présentent sous toutes les coutures : voici « Géronimo en embuscade » – le « tigre humain », la plus célèbre de ses photos –, « Géronimo à cheval avec ses guerriers », Géronimo en « vieux sage » immortalisé par le fameux Edward S. Curtis1, « Géronimo cultivant ses pastèques en Oklahoma », « Géronimo en famille », Géronimo posant – circonspect – aux côtés de son « vainqueur » le général Miles, ou enfin « Géronimo au soir de sa vie » à fort Sill en Oklahoma… Durant tout le siècle dernier, le phénomène n’a fait que s’amplifier lorsque le cinéma, la littérature ou la bande dessinée se sont emparés de cette figure pour en abreuver l’imaginaire des foules2.

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La chute de Géronimo

Samuel E. Kenoi, Morris Opler trad. Frédéric Cotton

Paru le 09/05/2007

62 pages

Anacharsis

10,00 €