#Roman francophone

Le temps des miracles

Anne-Laure Bondoux

C'est une histoire d'exil, du Caucase vers la France, après la chute du mur de Berlin, pendant la guerre d'indépendance du Caucase. Gloria Bohème marche, toujours tout droit, accompagnée de Blaise Fortune, 10 ans. Cette femme, au coeur immense, a un don : celui d'enchanter la vie et aussi d'aboutir là où elle a décidé d'aller, coûte que coûte... Quelques années plus tard, Blaise peut enfin raconter son histoire. Et la pure vérité, c'est qu'on n'est pas près de l'oublier. Avec le charme fou d'une écriture sans pareille Anne-Laure Bondoux décrit des personnages tous plus extraordinaires les uns que les autres, donne des messages d'espoir, voire d'espérance. Derrière chaque chapitre, des petites larmes de bonheur, des promesses d'amour aussi, des histoires qu'il faut sans cesse se raconter pour se créer un monde meilleur, se réinventer et s'offrir une vie plus belle, pleine de lumière... La bonté existe et ce livre nous le montre. Dès 12 ans. Le temps des miracles a été sélectionné dans plusieurs prix littéraires en 2009-

Par Anne-Laure Bondoux
Chez Editions de la Loupe

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Genre

Littérature française

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Je m’appelle Blaise Fortune et je suis citoyen de la République de France. C’est la pure vérité.

 

Le jour où les douaniers m’ont trouvé au fond du camion, j’avais douze ans. Je sentais aussi mauvais que le local à poubelles d’Abdelmalik, et je ne savais répéter que cette phrase : « jemapèlblèzfortunéjesuicitoyendelarépubliquedefrancecélapurvérité. »

J’avais perdu pratiquement toutes mes choses précieuses en cours de route. Heureusement, il me restait mon passeport ; Gloria l’avait bien enfoncé dans la poche de mon blouson quand nous étions à la station-service. Les renseignements inscrits dedans prouvaient que j’étais né le 28 décembre 1985 au Mont-Saint-Michel, au bord de la Manche, page 16 de l’atlas vert. C’était écrit noir sur blanc. Le problème, c’était ma photo : elle avait été décollée puis recollée, et même si Monsieur Ha s’était parfaitement appliqué pour refaire le tampon officiel par-dessus, les douaniers n’ont pas cru que j’étais un vrai petit Français. J’aurais voulu leur expliquer mon histoire, mais je n’avais pas assez de vocabulaire. Alors ils m’ont tiré par le col de mon pull pour me faire sortir du camion et ils m’ont embarqué.

C’est comme ça que mon enfance s’est achevée : brutalement, au bord de l’autoroute A4, quand j’ai compris que Gloria avait disparu et que j’allais devoir me débrouiller sans elle dans le pays des droits de l’homme et de Charles Baudelaire.

Ensuite, je suis resté des jours et des jours dans une zone d’attente, puis dans un centre d’accueil. La France n’était qu’une succession de murs, de grillages, de portes. Je dormais dans des dortoirs qui me rappelaient le grenier du Matachine, sauf qu’il n’y avait pas de lucarne pour voir les étoiles. J’étais seul au monde, vous voyez ? Pourtant, il fallait que j’empêche le désespoir de me ronger l’âme jusqu’à l’os. Et surtout, il fallait que j’aille au Mont-Saint-Michel pour retrouver ma mère ! C’était facile à expliquer, mais je ne connaissais pas la langue. Je ne pouvais pas raconter le Terrible Accident, ni les aléas de l’existence qui m’avaient conduit jusqu’ici ! Et, quand vous ne pouvez pas raconter, vous avez l’impression de mourir d’étouffement.

Aujourd’hui, c’est différent. Les années ont passé, et je sais nommer chaque chose, employer les verbes, les adjectifs, les conjonctions et les conjugaisons. J’ai dans la poche un passeport neuf, en règle avec les lois du monde.

Il y a peu de temps, j’ai reçu une lettre de l’ambassade de France à Tbilissi disant qu’on avait peut-être retrouvé la trace de Gloria. Voilà pourquoi je suis assis dans cette salle d’embarquement, à l’aéroport Roissy-Charles-de-Gaulle, avec une valise, mon cœur gros et l’espoir fou de la revoir enfin. Mais, avant, il faut que je mette mes idées en ordre.

Alors voilà : je m’appelle Blaise Fortune. Je suis citoyen de la République de France, pourtant j’ai vécu les douze premières années de ma vie dans le Caucase, qui se situe entre la mer Noire et la mer Caspienne, à la page 78 de mon atlas vert. À cette époque, je parlais russe et les gens m’appelaient Koumaïl. Ça paraît bizarre, mais c’est simple à comprendre ; il faut juste que je raconte. Tout. Et dans l’ordre.

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Le temps des miracles

Anne-Laure Bondoux

Paru le 01/02/2010

244 pages

Editions de la Loupe

16,00 €