#Roman francophone

La rose de Jéricho

Louise Devise

Pourquoi a-t-elle accepté l'inacceptable et surtout si longtemps ? Comment elle, féministe depuis toujours, a-t-elle pu devenir cette femme ? Elle a besoin de comprendre. Dans son refuge à Marseille, sa lumière, son bleu intense, sa roche calcaire, elle se livre à une exploration à la recherche des failles. Peu à peu se révèlent des scènes oubliées, pièces d'un puzzle qui surgissent devant les yeux du lecteur surpris. Louise Devise imagine les mots d'une femme qui se reconstruit, capable comme la rose de Jéricho de traverser de longues périodes de sécheresse sans mourir... en attendant la goutte qui la fera reverdir et s'ouvrir.

Par Louise Devise
Chez Maurice Nadeau

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Genre

Littérature française

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Cette nuit un souvenir t’est revenu, t’a réveillée peut-être, tu l’as noté. Il fait partie de ton passé perdu. Alors que tu faisais la vaisselle dans ta cuisine entourée des fenêtres peintes en jaune donnant sur le vert de la vigne vierge et des bambous, ton regard avait été attiré par quelque chose d’étrange qui bougeait lentement devant tes yeux sur la vitre, c’était vivant et ça ne ressemblait à rien de ce que tu avais vu avant. En t’approchant tu avais découvert une araignée noire et velue en train de se séparer de sa vieille peau. Sous cette enveloppe abandonnée qui se desséchait, apparaissait son corps agile dans un habit tout neuf.

Et puis comme en zoom arrière, tu as revu cette cuisine, cette maison, ta vie dans cette maison aux Lilas.

Si tu n’avais pas lancé la bombe, tu y serais encore.

Tu l’appelais affectueusement la maison des araignées. Un jour au Palais de Tokyo à Paris, tu avais visité une exposition de toiles d’araignées géantes, présentées dans l’obscurité et éclairées comme des œuvres d’art. Dans une vitrine, tu avais rencontré ces mots que tu as toujours gardés : qui habite chez qui ? Les araignées habitent chez nous les humains ? Ou bien c’est nous qui habitons chez les araignées ?

Cette araignée qui mue c’est toi bien sûr, tu le sais. Elle n’est pas revenue par hasard au moment même où tu cherches à te rappeler la femme que tu étais avant.

Maintenant que le couple a volé en éclat, les témoins se mettent à parler. Quasiment tous, proches et moins proches, même ceux qui ne sont passés qu’une soirée, s’autorisent à te raconter ce qu’ils ont vu, ils t’aident à réaliser ce que tu as subi et ce qu’eux-mêmes ont subi en assistant à certaines scènes. Souvent ils commencent par : est-ce que je peux te dire quelque chose maintenant ?... Ou : je n’osais pas t’en parler mais... Ou : c’était pour moi insupportable, je voulais fuir car je sentais que je trahissais mon amitié pour toi en laissant faire, je me sentais complice, en même temps je n’osais pas m’immiscer dans votre relation, on ne sait jamais ce qui se passe entre deux êtres dans un couple... Ou encore : Michaël était très amoureux de toi, c’était dans ses yeux, mais sa violence était dans ses mots, dans le ton de sa voix envers toi, les critiques systématiques, les dénigrements, les humiliations... Tu avais l’air de l’accepter, je me disais que c’était votre manière de fonctionner. Un autre t’a dit : lorsque je vous quittais, j’avais peur pour toi. Et puis un autre : quand j’osais intervenir, tu riais. 

L’accumulation de toutes ces paroles te secoue comme des décharges électriques. Où étais-tu dans ces moments-là ? Sans doute perdue, captée par une sorte d’absence à ta propre présence. Là et pas là à la fois. Prise dans une situation inextricable dont tu ne pouvais pas imaginer sortir, tu préférais ignorer et ensuite effacer. 

Pourtant tu te souviens avoir résisté, protesté, revendiqué, d’où cette relation tumultueuse, bruyante, hurlante, que les amis à l’extérieur ont aperçue, enfin entre-aperçue car bien sûr ce qui se passait sans témoin était encore plus fort. Vous deux pensiez que c’était la forme d’amour que vous vous étiez choisie – que vous étiez obligés de supporter. 

Mais jusqu’à quel point tu avais choisi toi d’être maltraitée ?

Souvent tu te parles à toi-même pour essayer de clarifier, sonder cette tension intérieure que tu ressens, entre la femme aveuglée du passé et celle qui voit à présent. Par ce dialogue avec cet autre en toi qui continue de t’échapper, tu parviens peu à peu à retrouver l’état de dissociation dans lequel tu étais... 

Alors que tu as (du) mal à te souvenir, aujourd’hui tu as besoin de comprendre.

 

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La rose de Jéricho

Louise Devise

Paru le 07/03/2025

164 pages

Maurice Nadeau

19,00 €