#Roman francophone

Mrs Dalloway

Virginia Woolf

Extrait&NewLine ; "Mrs Dalloway dit qu'elle acheterait les fleurs elle-même&NewLine ; Car Lucy avait déjà bien assez à faire les portes devaient être sorties de leurs gonds les garçons de Rumpelmayer seraient là d'une minute à l'autre Et puis quelle matinée se dit Clarissa Dalloway juste ce qu'il faut de fraîcheur à des enfants sur une plage" Par une matinée ensoleillée de juin 1923 Mrs Dalloway jeune femme élégante de la haute société anglaise prépare une soirée mondaine et se rend chez le fleuriste A l'occasion de sa déambulation à travers Londres dont la vie est rythmée au son de Big Ben l'héroïne de retour chez elle s'interroge sur ses choix Pourquoi n'a-t-elle pas épousé l'homme qu'elle aimait vraiment qui lui rend visite ce jour-là Des années plus tôt elle avait choisi d'épouser le député Richard Dalloway Au fil de leur conversation émaillée par le ressac d'anciens souvenirs qui jaillissent dans l'esprit de Clarissa elle va revisiter toute son existence Ses souvenirs ses angoisses Et pourquoi est-elle si frappée par la mort d'un ancien militaire qui ne s'est pas remis de la guerre pourtant un parfait inconnu pour elle &NewLine ; Publié en 1925 Mrs Dalloway est le chef-d'oeuvre de Virginia Woolf et l'un des piliers de la littérature du XX ? siècle Ce roman poétique d'une modernité à toute épreuve sous forme de long monologue intérieur parvient à transformer les émotions en aventures une crise existentielle en conscience de la difficulté de relier soi et les autres le présent et le passé le langage et le silence comme celle de se reconnaître soi-même

Par Virginia Woolf
Chez Hugo et Compagnie

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Mrs Dalloway dit qu'elle se chargerait d'acheter les fleurs.

Car Lucy avait bien assez de pain sur la planche. Il fallait sortir les portes de leurs gonds ; les serveurs de Rumpelmayer1 allaient arriver. Et quelle matinée, pensa Clarissa Dalloway : toute fraîche, un cadeau pour des enfants sur la plage.

La bouffée de plaisir ! le plongeon ! C'est l'impression que cela lui avait toujours fait lorsque, avec un petit grincement des gonds, qu'elle entendait encore, elle ouvrait d'un coup les portes-fenêtres, à Bourton2, et plongeait dans l'air du dehors. Que l'air était frais, qu'il était calme, plus immobile qu'aujourd'hui, bien sûr, en début de matinée ; comme une vague qui claque ; comme le baiser d'une vague ; vif, piquant, mais en même temps (pour la jeune fille de dix-huit ans qu'elle était alors) solennel, pour elle qui avait le sentiment, debout devant la porte-fenêtre grande ouverte, que quelque chose de terrible était sur le point de survenir ; elle qui regardait les fleurs, les arbres avec la fumée qui s'en dégageait en spirale, et les corneilles qui s'élevaient, qui retombaient ; restant là à regarder, jusqu'au moment où Peter Walsh avait dit : « Songeuse au milieu des légumes ? » – était-ce bien cela ? – ou n'était-ce pas plutôt « Je préfère les humains aux choux-fleurs » ? Il avait dû dire cela un matin au petit déjeuner alors qu'elle était sortie sur la terrasse. Peter Walsh. Il allait rentrer des Indes, un jour ou l'autre, en juin ou en juillet, elle ne savait plus exactement, car ses lettres étaient d'un ennuyeux... C'est ce qu'il disait qu'on retenait ; ses yeux, son couteau de poche, son sourire, son air bougon, et puis, alors que des milliers de choses avaient disparu à jamais, c'est tellement bizarre, une phrase comme celle-ci à propos de choux.

Elle se raidit un peu au bord du trottoir, laissant passer le camion de livraison de Durtnall. Une femme charmante, se dit Scrope Purvis (qui la connaissait comme on connaît, à Westminster3, les gens qui habitent la maison d'à côté) ; elle avait quelque chose d'un oiseau, un geai, bleu-vert, avec une légèreté, une vivacité, bien qu'elle ait plus de cinquante ans, et qu'elle ait beaucoup blanchi depuis sa maladie. Elle était là perchée, sans le voir, très droite, attendant de traverser.

Car lorsqu'on habite Westminster – depuis combien de temps, en somme, plus de vingt ans ? –, même au milieu de la circulation, ou lorsqu'on se réveille la nuit, on ressent, Clarissa en avait l'intime conviction, une certaine qualité de silence, quelque chose de solennel ; comme un indéfinissable suspens (mais c'était peut-être son cœur, dont on disait qu'il avait souffert de la grippe espagnole) juste avant que ne sonne Big Ben4. Et voilà ! Cela retentit ! D'abord un avertissement, musical. Puis l'heure, irrévocable. Les cercles de plomb se dissolvaient dans l'air. Que nous sommes bêtes, se dit-elle en traversant Victoria Street. Dieu seul sait la raison pour laquelle nous l'aimons tant, et cette manière que nous avons de la voir, de la construire autour de nous, de la bousculer, de la recréer à chaque instant ; et les mégères informes, les rebuts de l'humanité assis sur le pas des portes (l'alcool ayant causé leur perte) en font autant ; on ne peut pas régler leur sort par de simples décrets ou règlements, précisément pour cette raison : ils aiment la vie. Dans les yeux des gens, dans leur démarche chaloupée, martelée, ou traînante ; dans le tumulte et le vacarme ; les attelages, les automobiles, les omnibus, les camions, les hommes-sandwiches qui se frayent un chemin en tanguant ; les fanfares ; les orgues de barbarie ; dans le triomphe et la petite musique et le drôle de bourdonnement là-haut d'un avion, dans tout cela se trouvait ce qu'elle aimait : la vie ; Londres ; ce moment de juin.

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Mrs Dalloway

Virginia Woolf trad. Pasquier Marie-claire, Marie-Claire Pasquier

Paru le 22/05/2024

400 pages

Hugo et Compagnie

7,90 €