#Essais

Paradis (avant liquidation)

Julien Blanc-Gras

II y a des pays en voie de développement et des espèces en voie de disparition. La république des Kiribati est un pays en voie de disparition. Perdu au milieu de l'océan Pacifique, ce petit paradis semble promis à l'engloutissement par le réchauffement climatique. J'ai organisé ma vie autour d'une ambition saugrenue, le quadrillage méthodique de la planète. Moteur : toujours voir un pays en plus. Ce qui se profile ici, c'est un pays en moins. Je dois m'y rendre avant qu'il ne soit rayé de la carte. J. B. -G. "C'est un récit passionnant, entre le gonzo reportage et Nicolas Bouvier. Un texte toujours surprenant qui nous apprend dix choses par page et nous informe, toutes sirènes hurlantes, sans nous donner de leçon." Eric Chevillard, Le Monde des livres. "Cette enquête journalistique est l'oeuvre d'un écrivain ; il est rare que les deux talents se mélangent aussi merveilleusement." Yann Moix, Le Figaro littéraire.

Par Julien Blanc-Gras
Chez LGF/Le Livre de Poche

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Genre

Récits de voyage

Une nation entière du Pacifique pourrait un jour demenager aux fldji

Craignant que le changement climatique n anéantisse l'intégralité de leur archipel les dirigeants des Kiribati envisagent de recourir à un plan de sauvegarde extra­ordinaire : déplacer leur population aux Fidji.
Le président des Kiribatiy Anote Tong, a déclaré vendredi à l'Associated Press que son cabinet avait avalisé le projet d'acheter environ 2400 hectares sur une île des Fidji. (...) « Nous espérons ne pas avoir à déplacer tout le monde sur cette îley mais si cela devenait absolument nécessaire, ouiy nous le ferions. Ce ne serait pas pour moi personnellementy mais pour la génération à venir. Pour euxy déménager ne sera plus une question de choix. Ce sera une question de survie ».
Dépêche Associated Press (extrait), 9 mars 2012

Le bout du monde se cache plus loin que prévu. On m'avait appris que les antipodes se trouvaient aux alentours de la Nouvelle-Zélande et comme c'est exact, je m'étais empressé d'y croire. Arrivé à Auckland, j'ai tout de même dû emprunter deux avions supplémentaires avant d'apercevoir ma destination. Il faut croire que la géographie est une science mouvante.
Il est 6 heures du matin derrière ce hublot, j'émerge devant un champ de nuages toisant le Pacifique. Mon regard hésite à se poser, tiraillé par trop de splendeurs concurrentes. En face, il se fixe sur les ribambelles coton­neuses tendues vers l'horizon. Vers le bas, il guette l'apparition des atolls ponctuant la monotonie de l'océan.
— Tu vois les montagnes ?
Je fronce les sourcils, je ne suis pas assez réveillé pour saisir les subtilités de l'humour océanien. Mon voisin éclate de rire, se présente et me tend la main. Le steward, lui, me tend une bière. Il est un peu tôt pour s'imbiber. Nabby n'a pas ces scrupules et s'empare de la canette. Il a de bonnes raisons de fêter son retour aux Kiribati. C'est un marin qui passe sa vie à l'écart de ses latitudes d'origine ; il n'a pas vu son épouse et son fils depuis onze mois.
Nous descendons vers Tarawa, l'île capitale, un des trente-trois confettis qui composent cette nation éparpillée dans l'immensité. Curieuse capitale, qui s'étire sur une trentaine de kilomètres pour quelques hectomètres de large. Une étroite bande corallienne dépourvue de relief et assaillie par le mouvement perpétuel des vagues. Vue du ciel, sa fragilité saute aux yeux. C'est un grain de sable dans l'océan, une touche de vert égarée dans le bleu. Un minuscule éclat d'Eden cerné par l'infini.
— C'est vrai, ces histoires de montée du niveau de la mer ?
— Je reviens chaque année. Et chaque année, l'eau s'est rapprochée de ma maison.

Il y a des pays en voie de développement et des espèces en voie de disparition. La république des Kiribati est un pays en voie de disparition.
Un cas singulier, à contre-courant d'une époque où chaque secousse géopolitique peut accoucher d'un nouvel Etat. Il n'y a jamais eu autant de nations sur terre. Celle-là semble vouée à l'effa­cement. Non par scission ou absorption. On lui promet l'engloutissement.
J'ai organisé ma vie autour d'une ambition saugrenue, le quadrillage méthodique de la planète. Moteur : toujours voir un pays en plus. Ce qui se profile ici, c'est un pays en moins. Je dois m'y rendre avant qu'il ne soit rayé physiquement de la carte.

Sur le planisphère, le pauvre est à peine visible à l'œil nu. Sa surface terrestre ne couvre même pas celle d'un département français, mais on pourrait faire rentrer l'Inde dans son espace maritime. À la fois un des plus petits et un des plus grands pays. Je ne peux pas résister à cette aberration géographique. Ajoutons que l'équateur et la ligne de changement de date se croisent aux Kiribati. On est donc en droit de considérer qu'il s'agit du centre du monde.

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28/05/2014 187 pages 6,90 €
Scannez le code barre 9782253179221
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