#Roman francophone

La serpe

Philippe Jaenada

Un matin de 1941, au château d'Escoire, Henri Girard appelle à l'aide : son père, sa tante et la bonne ont été massacrés à la serpe. Unique survivant et unique héritier, il est le suspect numéro un. Au terme d'un procès retentissant il sera pourtant acquitté. Il deviendra un écrivain célèbre et mènera une vie d'aventurier. L'énigme restera irrésolue. Jusqu'à ce que Jaenada se penche sur la question...

Par Philippe Jaenada
Chez Points

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À Marie,

ma mère,

qui aime le mystère.

 

 

« Reste à tourner et retourner entre les doigts, l'un après l'autre, tous les pions disponibles. Reste à piétiner le temps qu'il faudra. Reste à chercher, chercher, et continuer de chercher. »

Georges Arnaud, 1964

(préface du Meurtre de Roger Ackroyd, d'Agatha Christie).

 

 

 

Avertissement

 

Ce livre, ce roman, raconte ce qu'on appelle une histoire vraie. Quand j'ai appris, au cours de mes recherches, qu'une chemise était rouge ou qu'une fenêtre était ouverte, par exemple, j'ai écrit que la chemise était rouge et que la fenêtre était ouverte. J'ai fait de mon mieux, dans la partie historique, pour rester fidèle à la réalité, ou à ce qu'on en sait. Mais j'ai changé le nom de certaines personnes, quatre ou cinq. D'abord parce qu'un nom, dans l'absolu, n'a pas d'importance – ne change rien, ce qui tombe bien ; ensuite, non pas par respect posthume pour lesdites personnes (ce serait hypocrite, car j'irais de bon cœur pique-niquer sur leurs tombes), mais parce que leurs éventuels enfants et petits-enfants n'ont rien à voir avec tout ça. Ils ont leur vie, neuve, indépendante. Il faut laisser les petits-enfants tranquilles.

 

 

1.

 

« Quelle malchance ! s'écria Claude. »

Je n'aurais pas mieux dit. J'ai quitté le périphérique depuis vingt secondes, léger, enthousiaste, excité comme un marmot à l'idée de ce que je vais chercher à cinq cents kilomètres de Paris, ce samedi 15 octobre, et je suis à peine entré sous le tunnel sale de l'embranchement vers l'autoroute, après la porte d'Italie, qu'un voyant rouge s'allume sur le tableau de bord de la Meriva que j'ai louée ce matin. Pour que le stress causé par l'imprévu soit légèrement accentué par l'inconnu, je ne comprends pas le sens du symbole qui s'affiche : j'opinerais du chef, OK, je vois le problème, face à une burette d'huile ou à un petit thermomètre, mais là, c'est un point d'exclamation entre parenthèses : (!). Comme si on prenait des précautions pour me prévenir, discrètement, presque timidement : on ne veut pas vous affoler, mais faites très attention.

Ce point d'exclamation est souligné d'un trait cranté, crénelé, genre semelle de Pataugas ou, si je regarde bien, une sorte de ligne brisée (je pile à dix centimètres du pare-chocs arrière de la voiture jaune qui me précède, mon cœur est projeté vers l'avant – ça freine toujours, sous ce tunnel), ce qui donne l'impression, avec les parenthèses sur les côtés, qu'il est à l'intérieur d'un chaudron sur le feu. Ce n'est pas plus rassurant. J'ai quitté Paris depuis trois cents mètres et une image m'apparaît en tête : j'ai été capturé par des cannibales qui me font cuire.

Hier soir, j'ai dîné avec ma femme et notre fils, Anne-Catherine et Ernest, dans un nouveau restaurant de notre quartier, genre bobo : dernier repas de famille avant mon départ seul, vers le Périgord, vers une vieille et mystérieuse histoire. Nous nous sommes demandé si ce n'était pas la première fois depuis la naissance d'Ernest, il y a seize ans, que je louais une voiture sans eux. Sans doute. Nous partons deux ou trois fois par an, en Alsace dans la famille d'Anne-Catherine ou dans la mienne du côté d'Aix-en-Provence, au ski en Haute-Savoie, en Italie l'été, toujours tous les trois, ensemble et insouciants.

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La serpe

Philippe Jaenada

Paru le 19/08/2022

648 pages

Points

9,50 €