#Roman francophone

Chambre simple

Jérôme Lambert

Un homme reprend connaissance dans une ambulance. Il est habitué à ce genre de voyage, car le mal dont il souffre est chronique. Toujours, entre rêve et lucidité, il emprunte le chemin de cette île qu'est l'hôpital. A son chevet, infirmiers, médecins, aides-soignants s'affairent. Et l'amant reste auprès de lui. Chacun parle de ce lieu où l'on passe, où l'on est à nu, où l'on souffre, mais où tout, aussi, redevient possible. Et au jeu de l'amour et des confidences, les règles se réinventent.

Par Jérôme Lambert
Chez L' Iconoclaste

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Genre

Littérature française

À Raphaël, qui sait à la fois relire un manuscrit

et refaire un amour.

 

 

Room with my soul left out,

room that does not care.

Bruce Nauman

 

C’est une autre saison

Qu’il nous faudrait pour de bon

Pour repartir, mon amour,

Le cœur moins lourd.

Josef Salvat

 

 

Le Patient


J’ai repris conscience sur le brancard d’une ambulance ou d’une voiture de pompiers, je ne sais plus.

Comment vous appelez-vous Vous savez où vous êtes Quelle heure est-il Ça vous est déjà arrivé Quel âge avez-vous Restez avec nous s’il vous plaît, Ne vous endormez pas Vous habitez loin d’ici Quel jour sommes-nous Prenez ma main (je serre sa main, je garde sa main, j’écrase sa main) D’accord, mais en quelle année Pouvez-vous me dire – et ils répétaient mon nom – en quelle année nous sommes ?

J’avais bon à tout et j’ai flanché sur l’année.

Peut-être par épuisement puisque tout m’épuisait.

Peut-être parce que leur harcèlement m’agaçait.

Peut-être qu’un neurone n’a pas fait son boulot.

Vous avez deux ans de retard, a dit le grand type à la main large assis à ma droite, un détail (laisse ta main sur la mienne comme une amarre de chair et de pulpe). Il a réglé mon cas d’une croix sur son écriteau de plastique rouge en souriant. Un clin d’œil quand il me recolle le masque sur le bas du visage, l’odeur du caoutchouc neuf qui envahit mes narines, l’oxygène qui fonce droit au cerveau.

J’étais trop calme, mais je n’avais ni le choix, ni la force ni l’envie de lutter.

Après je ne sais pas.

Après c’est l’hôpital.

 

 

« Il y a des antécédents dans votre famille ? »

 

Ce n’est plus un test, c’est une vraie question de docteur. Terminé le chaos de l’ambulance, je suis en consultation, allongé dans le calme étourdissant d’un hôpital où on me réclame une information. Je suis donc vivant sous des néons qui brûlent ma rétine. Ça sent le désinfectant et les haleines aseptisées. Il faut répondre et dire la vérité car mentir peut me coûter la vie. Pourtant j’hésite. Tant que je ne réponds pas, j’ai le pouvoir. Une fois que la réponse passera de leur côté, ils décideront, je n’aurai plus voix au chapitre, je serai passif, je ne serai plus rien.

Je peux dire « oui, ça m’est déjà arrivé », mentionner mes aïeux atteints, expliquer la malédiction des cellules ; ils hausseront les épaules et lèveront les sourcils : « Ah, c’est familial, je comprends mieux. » L’affaire sera réglée, je serai de ceux qui portent la tare et mon cas s’en trouvera amoindri. On m’a déjà fait le coup. Pour un hallux valgus : « Ma grand-mère appelait ça des oignons, eh bien c’est ce que vous avez et qui déforme vos pieds, vous voyez, ce n’est pas grave, une paire de semelles orthopédiques sur mesure et le tour est joué, c’est héréditaire, plus fréquent chez les femmes mais apparemment vous n’avez pas de chance. » Voix bonhomme, voix fausse, voix lassée des maux bénins, fatiguée de son métier, voix de connard.

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03/01/2018 181 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9791095438564
9791095438564
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