#Roman francophone

Le retour du phénix

Ralph Toledano

En se mariant avec le prince Tullio Flabelli, Edith, issue d'une antique lignée de cabalistes sépharades, a adopté la vie aristocratique et les palais romains de son époux. Dix ans plus tard, en 1987, mère de trois enfants, sa relation avec Tullio évoque la dérive de deux continents. Le temps d'un été, le couple décide de retourner à Jérusalem. Edith y possède une maison, mausolée déserté de son passé marocain. Elle qui avait laissé une nation fondée sur des valeurs d'entraide retrouve un pays où le paraître l'emporte sur l'être. Mais rien n'est écrit d'avance, dans une région en guerre, où le moindre souffle d'air peut rebattre les cartes d'un univers menacé. Voyage initiatique dans les mystères du monde d'hier, à travers les villes éternelles que sont Rome et Jérusalem, Le Retour du phénix est un roman intemporel dans lequel Ralph Toledano, auteur de Un prince à Casablanca et de Revoir Tanger, suggère avec subtilité que "notre seul combat légitime est la courageuse conquête de notre clarté et de notre cohérence".

Par Ralph Toledano
Chez Albin Michel

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Genre

Littérature française

« Plus me plaît le séjour qu’ont bâti mes aïeux

Que des palais romains le front audacieux. »

Joachim du Bellay,

Heureux qui comme Ulysse.

 

 

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Les certitudes d’un épicurien

 


Bob, héritier d’une fortune pétrolière texane, avait loué l’étage noble d’un des palais Doria-Pamphilj. La haute société romaine murmurait qu’il était d’origine juive ukrainienne, ce qui était vrai. Fuyant les pogroms de l’empire des tsars, son grand-père avait débarqué à New York à la fin du XIXe siècle. Son maigre bagage contenait une panoplie de ces ciseaux qu’il fabriquait et dont il avait fait le commerce, les colportant d’un village à l’autre de sa Lituanie natale. Dans la cale du bateau qui transportait le marchand ambulant depuis Odessa, un instituteur lui conseilla de changer de nom, dès son arrivée à New York. Beaucoup d’immigrants le faisaient car les Américains ne savent pas prononcer les vocables truffés de x, de z et d’y.

Aidé par son compagnon de traversée, le grand-père de Bob élabora une nouvelle identité. Mais, en débarquant, après une queue interminable, épuisé par la navigation, terrorisé par la visite médicale, il fut incapable de décliner son nouveau patronyme, imaginé au cours de semaines de roulis. De dépit, il se frappa le front et lança en yiddish : « Vergessen ! » Ce qui fut immédiatement consigné par le fonctionnaire sous la forme anglo-saxonne de Ferguson.

Des années plus tard, Bob hériterait du physique slave de l’aïeul. Sa barbe lisse, autrefois blonde puis grisonnante, déclarait son origine géographique ; elle évoquait tantôt celle d’un pope de Kazan quand il la laissait pousser, pensant que cela accentuait sa séduction, tantôt celle du dernier tsar, quand il la faisait tailler en pointe et mettait son blazer croisé à boutons dorés. Cette confusion culturelle et ethnique interviendrait bien après l’arrivée du pauvre immigrant sur le sol américain.

Afin que son petit-fils s’installe un jour dans un palais romain, le grand-père devait tout d’abord faire fortune. Le vieil Ukrainien fit évoluer son talent à forger ciseaux et couteaux de cuisine. Il inventa une puissante roue dentée, capable de creuser des fondations d’immeuble. New York et Chicago devenaient d’immenses chantiers de construction. Il déposa le brevet de cette tête de forage, ce qui l’enrichit rapidement.

Le fils de l’inventeur eut le flair d’acheter des terres aux environs de Dallas ; on disait qu’un or noir gisait dans les entrailles de ce désert. La vulgarisation de l’automobile offrit une prospérité brutale à la famille Wacziarsky, devenue Ferguson par le hasard d’une méprise.

À la troisième génération, Robert, surnommé Bob comme l’un des frères Kennedy, fréquenta l’université. Son nom, son physique avantageux et ses performances sportives lui avaient ouvert les portes des établissements de l’Ivy League. Il étudia l’économie à Harvard, s’inscrivant également à quelques cours d’histoire de l’art. Bob y entendit parler de Bernard Berenson (Valvrojensky de son vrai nom) et lut ses livres consacrés aux peintres italiens de la Renaissance. Une petite biographie de l’auteur lui apprit comment il était devenu l’expert en tableaux le mieux payé du monde, le conseiller des collectionneurs les plus ambitieux et l’arbitre des élégances culturelles de son époque, tant aux États-Unis que sur le Vieux Continent. Ce remarquable exemple d’intégration dans l’élite impressionna tellement Bob que l’illustre connaisseur devint sa référence. Au cours de sa longue existence, l’intellectuel juif lituanien avait franchi les étapes menant de la pauvreté familiale à la position de prince des amateurs d’art.

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22/08/2018 405 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782226402042
9782226402042
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