#Roman étranger

Moronga

Horacio Castellanos Moya

José Zeledón, ex-guérillero aux réflexes encore bien rodés, débarque à Merlow City, ennuyeuse ville-campus du Wisconsin. Guerrier désoeuvré devenu chauffeur de bus scolaire, il tente de réprimer ses instincts d'homme d'action. Erasmo Aragón, professeur d'espagnol paranoïaque et aigri, obsédé par les shorts trop courts de ses jeunes étudiantes, part à Washington pour consulter les archives de la CIA et tenter de résoudre l'énigme de l'assassinat du grand poète salvadorien Roque Dalton. Ces deux survivants hantés par la guerre, inadaptés, solitaires, se désintègrent à petit feu dans un pays puritain obsédé par la surveillance perpétuelle et les armes, auquel ils ne comprennent rien.

Par Horacio Castellanos Moya

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Genre

Littérature étrangère

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Ceci est un livre de fiction. Personnages et situations sortent de l’imagination de l’auteur ; toute ressemblance avec la réalité est une coïncidence. Même si certaines institutions, lieux publics et établissements commerciaux cités ici existent ou ont existé, rien de ce qui est raconté dans ce texte ne s’y est déroulé. L’auteur tient à remercier The Headlands Center for the Arts qui l’a accueilli en résidence dans un bungalow où il a commencé à écrire ces pages.

 

Pour Mariana, Luana et Ava ; pour Pablo.

Les enfants, mes amours.

 

Pour Nanna

 

ZELEDÓN

(Août 2009-mai 2010)

 

 

MÉNÉLAS : Qu’éprouves-tu ? Quel mal te consume ?

ORESTE : La conscience. Je sais quel acte j’ai commis.

Euripide, Oreste

 

 

J’ai vu qu’il me tournait de nouveau autour. La veille, c’était près des caisses du Walmart ; et maintenant en plein centre-ville, à la sortie d’un snack. Son visage m’était familier, ça remontait à l’époque de la guerre, mais je n’arrivais pas à retrouver qui c’était.

C’était un samedi en fin d’après-midi.

Les rues étaient désertes ; la réverbération du soleil faisait encore mal aux yeux.

Je suis monté dans la vieille Subaru. J’ai allumé mon portable. Rudy a répondu à l’autre bout : tout était prêt à Merlow City, je devais me pointer le plus vite possible, on m’attendait pour le boulot et il y avait plusieurs maisons où je pouvais louer des chambres meublées.

Je suis retourné au motel miteux où j’avais dormi ces derniers jours. J’ai payé la note.

Tôt le matin, j’ai mis mes vêtements et mes affaires dans la vieille Subaru.

Je n’avais personne à qui dire au revoir.

J’ai un peu tourné dans les faubourgs. Apparemment, personne ne me suivait. J’ai pris l’autoroute 30.

Je laissais Mount Pleasant derrière moi ; et plus loin derrière, Dallas.

J’avais quinze heures de route devant moi.

J’aimais bien conduire à cette heure-là, sortir de la pénombre dans cette zone désertique, quand il n’y avait pas encore beaucoup de circulation. Avant la brûlure du soleil, la chaleur suffocante, le trafic du dimanche.

Le jour s’est levé avant que j’arrive à Texarkana, à la frontière de l’État.

Mais pour le petit-déjeuner, je ne me suis arrêté que deux heures plus tard, au bord de l’autoroute, un peu avant Little Rock. Par la vitre du restaurant je pouvais observer ma voiture et les gens qui entraient et sortaient du parking.

La serveuse était très maigre, le visage ravagé, des yeux bleus légèrement exorbités ; elle avait le dos des mains tatoué. Le verre d’eau puait le jaune d’œuf ; le café était amer. Je ne lui ai pas laissé de pourboire.

J’ai quitté l’autoroute à Little Rock, comme si c’était là que j’allais. J’ai conduit un moment au hasard ; “Clinton” était un nom qui revenait souvent sur les devantures. J’ai fini par me garer dans une petite rue sur la berge de la rivière Arkansas. Je suis resté dans la voiture, les yeux dans les rétroviseurs, les mains sur le volant.

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