Editeur
Genre
Littérature étrangère
À notre bien-aimée Jos, éternellement marquée
par le sang de notre innocence
et la mémoire des victimes massacrées.
Partie 1
La renaissance de Hajiya Binta Zubaïru
(1956-2011, et au-delà)
1
Aussi loin qu’une pierre soit lancée,
elle finira toujours par retomber.
Hajiya Binta Zubaïru naquit à cinquante-cinq ans, le jour où un voyou aux lèvres sombres et aux cheveux hérissés pareils à de minuscules fourmilières escalada sa clôture et atterrit, bottes aux pieds et tout le reste, dans le marasme de son cœur. Dès son réveil ce matin-là, l’odeur âcre des cafards l’avait assaillie et elle avait senti que quelque chose allait arriver. La même intuition l’avait traversée le jour où, des années plus tôt, son père était entré en fanfare pour lui annoncer qu’on allait la donner en mariage à un inconnu. Ou celui où l’inconnu en question, Zubaïru, son mari pendant de nombreuses années, s’était laissé emporter par une irrépressible et sainte colère quand une bande de fanatiques alcoolisés l’avaient piégé. Ou encore le jour où l’aîné de ses fils, Yaro, au visage paisible et au caractère sage de sa mère, s’était fait abattre par la police. Ou même le jour où Hureïra, sa fille au tempérament si excessif, était revenue, annonçant en larmes que son bon à rien de mari la répudiait.
Donc Binta se réveilla, irritée par cette odeur détestable, et se mit à balayer, à récurer. Elle prit une lampe électrique sur la table de chevet, éclaira chaque recoin et chaque fissure de sa chambre. Cependant, au fond d’elle-même, elle savait que cette chasse, comme toutes celles auxquelles elle s’était déjà livrée, se révélerait inutile.
Ce fut sans doute le bruit de l’armoire qu’elle déplaçait qui attira l’attention de Fa’iza parce que sa nièce, dans son uniforme blanc et violet de collégienne, du rouge à lèvres gris sur les lèvres, vint s’appuyer contre le chambranle de la porte avec cet air si singulièrement nonchalant des adolescents.
— Hajiya, qu’est-ce que tu cherches ?
Binta, maintenant occupée à fouiller le tiroir de sa table de chevet, se redressa à grand-peine. En tenant à deux mains ses reins douloureux, elle haussa les épaules.
— Des cafards. Je les sens.
Fa’iza fit une grimace.
— Tu n’en trouveras pas un seul.
Binta scruta le visage de la jeune fille et ses yeux s’écarquillèrent de surprise.
— Dis-moi un peu à quel genre d’école tu vas pour qu’on t’autorise à te maquiller comme si tu sortais en boîte ?
Fa’iza avait déjà tourné les talons et commencé à s’éloigner quand Binta la rappela.
— Allons, enlève-moi ce rouge à lèvres ridicule. Ça te donne un air malade. Et puis, ton uniforme est trop moulant au niveau des hanches. Tu devrais avoir honte de le porter si serré.
— Honte ? Hajiya, c’est la mode d’aujourd’hui ! Tu es tellement vieux jeu, wallahi1, tu ne comprends plus rien de ce qui se fait.
Boudeuse, Fa’iza prit un mouchoir et s’essuya les lèvres.
Extraits
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