#Roman francophone

Jours de dèche

Didier Delome

Voici un premier roman bref et poignant sur un sujet grave (la dépression et le suicide) traité sans misérabilisme ni pathos, avec une mise en oeuvre romanesque assez proche du polar et conduite au pas de charge dans un style limpide, épuré et précis où chaque mot affûté telle une pointe de flèche fait mouche. "J'ai toujours mené la grande vie ; puis lorsque je me suis retrouvé à la rue sans rien, démuni, ayant tout perdu? ; l'effroyable urgence de ma situation m'a soudain assommé en pleine face avec la violence d'un gnon magistral qui m'a laissé groggy sur le banc du boulevard voisin où j'avais atterri".

Par Didier Delome
Chez Le Dilettante

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Genre

Littérature française (poches)

Cette pensée fulgurante, condamnée à se réduire à l’art, cette main tendue vers l’éternel et qui ne peut saisir qu’une autre main d’homme, cette merveilleuse intelligence, obligée de se contenter d’elle-même, cette aspiration bouleversante à percer, à deviner, à franchir, à transcender, et qui ne parvient finalement qu’à la beauté, ont été, pour moi, sur le terrain, un fraternel encouragement.

 

Romain Gary,

La Promesse de l’aube

 

 

J’ai toujours mené la grande vie, puis me suis retrouvé à la rue sans rien, démuni, ayant tout perdu ; et l’effroyable urgence de ma situation m’a soudain assommé en pleine face avec la violence d’un gnon magistral qui m’a laissé groggy sur le banc du boulevard voisin où j’avais atterri.

 

La sonnette de la porte palière de la galerie retentit. Stridente. Je sursaute. Premier coup de semonce. Je m’y attendais. Néanmoins je demeure interdit. Selon mes calculs je me doutais qu’ils débarqueraient ce matin après ce long week-end du 14 juillet. Mais je suis tétanisé. Totalement paniqué. Incrédule. Heureusement je flotte dans un état second. Je viens de me lever et n’ai émergé de mon coma que la veille. J’ai fini de m’habiller. Je suis prêt. Fataliste. Je descends ouvrir les vannes par où ils vont s’engouffrer.

Je ne me suis pas trompé. Ce sont eux. Une cohorte d’étrangers impatients de franchir mon seuil afin de m’évincer. Ma gorge est serrée dans un étau. Je leur réponds à peine et hoche la tête pour confirmer mon identité en leur livrant le passage. Anéanti. Il y a la police. Certains en uniforme et d’autres en civil. Hommes et femmes. Les huissiers. Un serrurier harnaché de son matériel qui du coup n’a rien à faire. Toutes sortes de gens qui m’envahissent et que je laisse se répandre avec une étrange indifférence. Les dés sont jetés. Tout va être englouti. Réduit à néant. Je suis au fond du gouffre. C’est fini.

Cela fait plus d’un mois que l’air conditionné est en panne alors que la canicule règne en ville. Intolérable. Même si tôt, à l’intérieur, la chaleur est déjà intenable. Je transpire. La sueur ruisselle sur moi. Mon visage exsangue à leur arrivée est maintenant en feu. La peau me brûle. Les yeux me piquent. J’y vois à peine. Sensation d’acide sous mes paupières. Si seulement je pouvais disparaître sur-le-champ et tomber en cendres. Pourtant je n’ai pas été pris en traître. Il y a un temps fou que cette procédure d’expulsion est entamée contre moi et que je résiste bec et ongles pour ne pas débarrasser le plancher. J’ai même eu beaucoup de chance de pouvoir m’incruster aussi longtemps. J’aurais pu être jeté à la rue depuis belle lurette. Mais là, fini les délais, les sursis inespérés décrochés in extremis ; la partie est définitivement perdue et je me retrouve devant eux sans aucune issue de secours. Je n’ai nulle part où aller. D’où mon air absent. Lamentable. Et l’état des lieux. Catastrophique. Tout est délabré, sale et repoussant mais je m’en fous. Y compris lorsqu’ils affichent leur répugnance bruyante devant les hordes de cafards grouillants qui ont tout envahi. Ils ont conquis le terrain depuis des mois. Avec une facilité déconcertante. Insidieuse. Je ne me suis pas laissé coloniser sans combattre. Je les déteste. Ils me dégoûtent. Ils font partie des rares animaux sur la planète que je pourrais exterminer sans le moindre remords. J’ai cohabité avec eux à New York alors infesté. Cela m’a servi de leçon. J’ai vite compris qu’avec ces bestioles, inutile de tergiverser. Il vaut mieux recourir d’emblée à une stratégie radicale.Nucléaire. Sinon c’est perdu d’avance. La preuve aujourd’hui. Il faut le voir pour le croire. Ils sont partout. Innombrables. Monstrueux et indestructibles. Des cohortes de miniatures noires mouvantes à l’assaut d’un décor dévasté. Et cela bien avant mon ultime convocation au commissariat où la jeune femme si compréhensive qui y suit mon dossier – tiens ! elle n’est pas là ce matin pour sonner l’hallali avec ses collègues – m’a annoncé, il y a déjà une quinzaine de jours, que cette fois c’est définitif. Ils vont réellement procéder à mon éviction. Juste après les festivités de la fête nationale. Je vais être jeté dehors comme un malpropre. Je ne peux plus compter que sur moi-même pour prévoir une solution de repli. Mais laquelle ? Je n’en ai aucune idée. Je suis tout seul et ne peux rien espérer de personne. Il n’y a qu’un miracle qui pourrait me sauver. Ou le Loto. Mais je suis athée et ne me suis jamais intéressé aux jeux de hasard. Il me faut juste accepter que c’est la fin et m’organiser en conséquence.

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22/08/2018 252 pages 18,00 €
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