#Roman francophone

Tristan

Clarence Boulay

Tristan, l'île cerclée par les embruns de l'Atlantique sud, ils en ont rêvé ensemble. Quand ils ont appris qu'il ne restait qu'une place à bord du bateau, ils ont tiré au sort. Et Ida a embarqué seule. Au sein de la petite communauté de Tristan, elle goûte à une vie simple gouvernée par la nature et les naufrages. Sur un coup de tête, Ida suit trois sauveteurs sur un îlot ravagé par une marée noire. Sa vie va basculer...

Par Clarence Boulay
Chez Points

0 Réactions |

Editeur

Points

Genre

Littérature française (poches)

à Anaïs, à Yves

et à ma fée, Viviane

 

à Tristan : l’île, l’enfant

 

 

à Piere

pour, un jour, braver le temps et défier l’espace

 

 

What’s the good of a party when you can’t hear the roar of the sea?

Arne FALK-RØNNE

 

 

J’AURAIS VOULU UNE AUTRE HISTOIRE. Une histoire dans laquelle je n’apparaîtrais pas. J’aurais voulu une lumière plus diffuse. J’aurais aimé un dieu qui me guide et à qui j’aurais emboîté le pas. Dans cette marche paisible, je me serais laissé envoûter par de beaux paysages, j’aurais salué des gens aimables, j’aurais habité, mangé, chanté sans heurt ni peine, ignorant l’amertume qui colle encore à chacune de mes dents.

J’aurais voulu écrire un autre passé. Un passé qui épargne le réflexe de baisser les yeux à la question :

Alors ? C’était-bien-c’était-comment-ton-voyage ?

Je ne sais pas.

Mais ça, je ne peux pas le dire, ça, ça ne se dit pas. Alors je dis, oh oui fort intéressant, et je raconte un peu des épisodes tellement racontés que je ne sais plus s’ils sont fiction ou réalité.

Mais je raconte.

Sans doute pour ne pas décevoir la personne chez qui je sens l’attente de reconnaître dans mes mots les images imprimées sur ces mois d’absence et de voyage. (J’aurais si peur de ne pas être à la hauteur de son imaginaire.)

Alors, je raconte

Un peu

On fait ce qu’on peut.

 

 

1

 

LA SIRÈNE RUGIT, inondant l’océan. Des otaries joueuses nagent de part et d’autre du bateau. Leurs petits cris se mêlent aux gémissements des pare-battages qui crissent sous la pression du langoustier.

Mer d’huile, beau fixe, manœuvres impeccables.

Mes yeux ruissellent sans que je m’en aperçoive. L’émotion du départ, la crainte inavouée de l’inconnu, le tressaillement des vagues. Courants d’air, sanglots, embruns, écume, épave. Des mots en cavale s’invitent et tournoient dans ma tête sans que je puisse en retenir aucun. J’ai l’impression que l’image floutée du port du Cap englouti sous mes larmes se retrouve enclose en moi, comme si ce paysage vaporeux s’invitait dans mon ventre. Je ne sais plus. Plus vraiment. Des formes obscures se mêlent aux mots pour venir résonner en moi. Je confonds les indices, perds mes repères, abandonnant par intermittence mon souffle à celui du vent. Qui, de l’air ou de moi, tournoie ? Mes paumes crispées empoignent la rambarde salée comme pour retenir un ultime ancrage, sauvegarder un bout de continent pour m’assurer que je ne flotte pas, pas encore complètement.

Devant moi, les matelots et les pêcheurs, en route pour une campagne de plusieurs mois, dessinent un essaim coagulé à l’extrémité de la poupe. Leurs yeux ne forment qu’un seul regard suspendu aux contreforts de Table Mountain, qu’ils ne reverront qu’à leur retour.

Petit à petit, l’horizon avale la côte. Robben Island apparaît puis disparaît. Peu à peu, la célérité du départ laisse place au dépouillement de la traversée, avec ce qu’elle apporte de pleine mer et d’oiseaux. Plein d’oiseaux, quels beaux oiseaux ! Pourquoi les départs inclinent-ils à tout trouver beau ?

Commenter ce livre

 

21/03/2019 160 pages 6,20 €
Scannez le code barre 9782757873984
9782757873984
© Notice établie par ORB
plus d'informations