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Juliette avait accompagné sa sœur et son frère dans leur exode estival sur la côte espagnole. Septembre marquait le retour des Vignal dans leurs foyers respectifs. Elle reprit ses promenades en compagnie de Mariette, une amie d’enfance. Elle n’éprouvait aucune nostalgie pour le monde du travail, mais ressentait le besoin diffus d’intégrer un groupe et de se rendre utile.
À Saint-Zacharie, le centre social avait ouvert des ateliers fréquentés par des immigrés souhaitant se fondre dans leur nouvel environnement. Mariette avait rejoint une équipe de bénévoles qui se consacraient à l’alphabétisation. Elle persuada Juliette de se rallier à eux.
Elle s’attendait à une salle de cours conforme à ses souvenirs scolaires. Son étonnement frisa la déception devant les tables en Formica écaillé, les parois blanches égayées d’affiches fixées au mur par des morceaux inégaux de ruban adhésif que l’on n’avait même pas cherché à dissimuler. La pièce n’avait rien de convivial.
La responsable, Francine, lui présenta les diverses activités qui s’ajoutaient à l’enseignement basique de la lecture et de l’écriture. Elle insista avant tout sur le lien social qui favorisait l’intégration.
– Nous assurons des cours deux fois par semaine : le lundi et le jeudi de 14 à 17 heures.
Juliette se pencha sur le matériel mis à disposition : des ouvrages naïfs destinés aux enfants, rien qui interpellât directement des adultes. Elle garda pour elle cette question évidente : « Comment éveiller la curiosité de ces derniers avec des outils si peu adaptés ? »
– Pour l’instant, il n’y a que des femmes. Le mieux serait que, pour le premier cours, vous observiez ce que nous faisons, poursuivit son interlocutrice.
Dès la première session, elle put constater le niveau très faible et la disparité des connaissances des élèves. Le déchiffrement des mots ne s’accompagnait pas de la compréhension. Leurs efforts portaient sur les lettres qu’elles rattachaient et les syllabes qu’elles parvenaient à décrypter. On était loin d’un enseignement cognitif qui aurait permis de rendre l’apprentissage plus efficace.
Elle ne se doutait pas qu’elle abordait, là, la plus belle expérience de sa vie. Elle découvrit le handicap que représentait l’ignorance de l’écriture et de la lecture. Les personnes concernées en souffraient comme d’une tare, qu’elles imaginaient si évidente qu’elle s’affichait sur leur visage.
L’équipe réduite des formatrices se partageait les « apprenantes » et les séances, selon leur disponibilité. Ce jour-là, les deux amies étaient seules à la permanence. Penchée sur la feuille de présence, Mariette remarqua :
– Nous avons une nouvelle aujourd’hui. En retard ! Mme Faouzi, ça te dit quelque chose ? C’est Francine qui a enregistré l’inscription.
Ce nom ne leur évoquait rien. À la lecture des commentaires, il apparaissait que la nouvelle ne rencontrait pas de difficultés dans la maîtrise des nombres, le raisonnement et le calcul. Elle saisissait des mots isolés et fréquents, mais elle se révélait pratiquement incapable de lire une phrase entière et éprouvait de grosses difficultés dans l’écriture.
Paru le 18/06/2015
222 pages
Editions de La Différence
17,90 €
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