Pour Saul
que j’aime.
1.
Je notais toujours les mêmes phrases dans mes cahiers. Des sortes de promesses que je ne tenais jamais. Les plus belles étaient écrites le soir ou au milieu de la nuit, où je me jurais, imbibé de whisky, de ne plus jamais toucher une goutte d’alcool, et ça dès le lendemain, et aussi de faire du sport, d’être doux, économe, travailleur, tolérant, discipliné, propre, d’aller chez le dentiste, de me rendre à pied aux rendez-vous, de donner rendez-vous à plus de quinze minutes de chez moi, d’être courageux, souriant, voyageur, curieux, spirituel, silencieux, attentif, cuisinier, raisonnable, endurant, déterminé, déterminant, d’aimer la pluie, les grandes chaleurs, les fruits, le poisson, le tourisme, les films en couleurs, les films récents.
Parfois même, je signais ces vœux. Signature solennelle adressée à je-ne-sais-qui à l’intérieur de ma tête (il devait bien y avoir quelqu’un, mais nous n’avions jamais été présentés). Je laissais le cahier ouvert histoire qu’il soit parfaitement visible à mon réveil. Au plus fort de ma détermination à évoluer, je le posais carrément debout contre la machine à café. Et le jour arrivait, et je retrouvais mon cahier, et déjà cela me paraissait moins formidable. Mais je gardais encore un peu de compassion pour l’ivrogne de la veille. Je voulais le respecter. Le considérer comme une sorte de prophète touché par une grâce à 40°. Je limitais ma consommation de cafés à dix au lieu de quinze, et je ne fumais pas avant d’avoir bu une première gorgée. Je relisais mes promesses. La première : « Être propre. » Soit commencer cette journée par une douche et un brossage de dents. J’étais assez motivé. Mais mon corps manquait maladivement de nicotine. Une cigarette avant le grand nettoyage n’y changerait rien. En général, je la fumais aux toilettes, dans cette pièce de deux mètres carrés, la plus froide de l’appartement, à cause de la fenêtre ouverte en permanence.
Je ne fumais pas partout chez moi. Seulement dans ma cuisine, deux fois plus grande que les toilettes, et aux toilettes justement. C’est une règle que je m’étais imposée depuis que j’avais un enfant. Étrangement, je n’en faisais pas mention dans mes cahiers, nulle part n’était écrit : « Je suis un père formidable qui se détruit les poumons uniquement aux gogues et dans sa cuisine pour protéger l’autre locataire mineur. » Je ne pouvais plus vraiment traduire cet hommage, depuis que mon fils fumait lui-même comme un pompier. Ajoutant sa chambre comme nouveau territoire de fumette. J’y allais volontiers, prétextant un reproche, pour profiter aussi du plus grand espace fumeur de la maison.
Aux toilettes, le froid envahissait mes pieds, puis remontait le long de mes jambes, et continuait son chemin jusqu’à geler mon cerveau en même temps que mes résolutions. J’ajoute que je dormais en caleçon et que j’aurais pu régler le problème en me couvrant chaudement pour aller aux wc. Mais l’idée de faire une machine à laver, de déplier le séchoir à linge, de récupérer et ranger les vêtements (qui en général restaient sur le séchoir jusqu’à écoulement total), avait pour moi la même ampleur que d’organiser la prochaine cérémonie d’ouverture des Jeux olympiques.
Paru le 28/05/2020
208 pages
7,70 €
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