Editeur
À Marc Taraskoff
ELLE A ÉTÉ la plus belle petite fille du monde.
C’était sa mère qui le lui répétait, en brossant ses longs cheveux châtains aux reflets dorés, doux comme la soie.
Puis elle est devenue une icône. Un visage adolescent à l’innocence affectée et provocante, infiniment désirable. Une image de cinéma.
Sa disparition a commencé il y a longtemps. Dès cette image fantôme qui s’est ancrée dans les inconscients, la figeant dans le temps et les mémoires. Une extinction lente aux allures de fondu au noir qui l’a menée jusqu’à cette pièce, derrière cette porte où on l’a oubliée.
Dans un instant, certains se souviendront d’elle. La porte s’ouvre. Le long silence prend fin.
Dans un instant, ils sauront qu’elle est morte.
PAUL
* * *
L’ODEUR QUE DÉGAGE un cadavre humain va bien au-delà de la pestilence. Il y a dans cette exhalaison quelque chose d’inacceptable. La promesse de notre propre mort à venir.
Paul avait été confronté à cette odeur pour la première fois à l’âge de seize ans. C’était durant l’été 2003, et il gagnait son argent de poche en travaillant pour l’entreprise familiale de pompes funèbres. Tout le mois de juillet, il avait assisté les maîtres de cérémonie et accompagné les convois. Puis, un matin particulièrement chaud de début août, son père lui avait demandé s’il se sentait prêt à être de garde de levée de corps. Chaque week-end, un binôme était d’astreinte afin de répondre aux appels de la police à toute heure du jour et de la nuit. Il fallait ramasser les personnes décédées sur la voie publique, ou de façon suspecte, pour les transporter jusqu’à la morgue ou au funérarium. Paul avait tout de suite compris que son père cherchait à le tester. Même s’ils n’en avaient jamais parlé, ce dernier espérait que son fils reprendrait les rênes de l’entreprise qui avait déjà survécu à deux générations. Accepter cette première garde, c’était montrer un réel intérêt pour le métier en se confrontant à ce qu’il pouvait avoir de plus rebutant. Paul avait à peine réfléchi avant de dire oui. Il n’avait jamais envisagé d’emprunter un autre chemin que celui qui s’offrait à lui depuis sa naissance. C’était une étape qu’il devait franchir, inévitable.
Le samedi suivant, peu après 18 heures, Harry, un employé d’une quarantaine d’années surnommé « buffet froid » parce qu’il avait tenu un restaurant avant d’être croque-mort, était passé chercher Paul en fourgon blanc banalisé. Ils avaient reçu un appel de la police judiciaire qui, comme le stipulait le règlement, leur laissait moins d’une heure pour se rendre dans une résidence HLM du 19e arrondissement. Le corps d’un homme avait été retrouvé dans un local technique. Aucun détail ne leur avait été donné hormis ce conseil : n’oubliez pas vos bottes. Tous deux savaient ce que cela signifiait, même si ce n’était que de façon théorique pour Paul. Pendant le trajet, Harry avait parlé cuisine, comme il le faisait souvent. Il était en pleine préparation d’un gaspacho quand son téléphone avait sonné. Sa femme avait pris la suite, il avait hâte de rentrer. Paul, lui, n’avait rien osé faire de sa journée. Il était resté en attente, nerveux, à guetter la moindre alerte émanant de son portable. En écoutant Harry, il s’était demandé s’il parviendrait un jour à un tel niveau de décontraction en étant consigné.
Paru le 12/01/2017
205 pages
Editions Héloïse d'Ormesson
18,00 €
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