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Pour Jean-Pierre Andrevon.
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La cage vibra lorsque le vaisseau décolla d’Es Jarnamati. Un vaisseau énorme, car la piste de l’astroport se situait à trois bons kilomètres du parcage des conteneurs, et des murs déflecteurs la bordaient de bout en bout, aussi hauts que des immeubles. Comme pour répondre au grondement d’avalanche, une plainte suinta dans l’espace clos, tandis que la masse tapie au fond se détachait des ténèbres avec la fluidité surnaturelle d’un spectre.
Le mufle heurta les barreaux et des mâchoires claquèrent dans le vide, à une paume de Palestel qui resta impavide. Le petit jeu entre la panthère noire et son gardien durait depuis deux semaines. Rien n’assurait que la bête y prenait encore plaisir, et qu’elle n’agissait pas par pure habitude.
Gorce Restok l’avait mis en garde : « Ne te leurre pas, ce fauve est vicieux comme pas deux. Capable de retenir son élan des jours et des jours pour te persuader qu’il ne peut pas t’atteindre. Et puis, à la seconde où il le décide, clac ! il t’emporte une main, net et sans bavure. » Avant d’énumérer les consignes de sécurité : ne jamais glisser la main derrière les barreaux ; utiliser la trappe pour jeter les poules vivantes ; avant de procéder, vérifier que le carnassier se tenait à plus de trois mètres et utiliser la gaffe prévue à cet effet ; nettoyer les excréments et les restes des carcasses déchiquetées à l’aide d’un long balai... Palestel avait écouté avec attention. En cas d’accident, inutile d’espérer recevoir des soins. Mais il n’avait pas le choix, et Restok le savait. C’était même une condition du travail : la présence de la panthère devait rester un secret absolu. Quoi de mieux qu’un fugitif pour assurer son entretien en toute discrétion, le temps de son séjour ?
La gueule entrouverte sur deux rangées de crocs luisants de salive, la panthère recula d’un pas. L’odeur de paille re ua avec elle. La tête triangulaire de l’animal s’articulait à l’extrémité d’un cou d’une longueur inquiétante. Au-dessus d’un mufle épaté, ses yeux fixaient Palestel comme deux brûlures. Une fois de plus, le roulement des muscles sous la fourrure rase suscita son admiration. Leurs méplats et leurs bosses faisaient de sa silhouette une épure de prédateur. Ses flancs portaient les marques d’innombrables injections. Plus d’une fois, le grand jeune homme aux pommettes saillantes et aux cheveux couleur miel coupés court avait eu la tentation de caresser ce pelage d’un noir étrange, soyeux à certains endroits, huileux à d’autres, qui ne renvoyait aucune lumière. Il n’avait jamais été assez fou pour s’y risquer.
Pendant une minute, la pointe de chalumeau du vaisseau en ascension demeura visible, avant de se fondre dans le scintillement de l’espace. Quant au vacarme du lancement, la rumeur ambiante l’avait déjà dilué. Il n’existait ni obscurité absolue ni silence total sur cette planète.
Paru le 09/02/2017
304 pages
Scrineo
21,00 €
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