#Roman étranger

La métamorphose

Franz Kafka, Miquel Barcelo, Jean-Pierre Lefebvre

"J'ai lu La Métamorphose à l'âge de 13 ou 14 ans d'un trait, la nuit. Peut-être même deux fois de suite, comme j'avais l'habitude de faire parfois. Le jour d'après, en rentrant de l'école, j'ai trouvé ma mère en train de pleurer en le lisant, alors que je l'avais trouvé drôle et troublant. Ma mère pleurait à l'idée que j'avais lu CA. Je l'ai ensuite relu plusieurs fois. Peut-être à chaque décennie. Je le considère comme une sorte de comique essentiel et moderne (tel Cervantès). Plus les années et les évènements passent, plus je trouve Franz Kafka pertinent, avec cet humour qu'on disait juif mais qui est une forme très ancienne d'humanisme... désespoir cosmique... Métamorphose : changement. Le seul qui ne change pas est Gregor Samsa, il maigrit peut-être, mais il reste le même du réveil jusqu'à la fin. Autour de lui tout se transforme. Son père, sa mère, sa petite soeur ! Après lecture, on prend conscience de quelque chose qu'on avait oublié depuis longtemps, que l'on savait déjà". Miquel Barceló

Par Franz Kafka, Miquel Barcelo, Jean-Pierre Lefebvre
Chez Editions Gallimard

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Genre

Littérature Allemande

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En se réveillant un matin après des rêves agités, Gregor Samsa se retrouva, dans son lit, métamorphosé en un monstrueux insecte. Il était sur le dos, un dos aussi dur qu’une carapace, et, en relevant un peu la tête, il vit, bombé, brun, cloisonné par des arceaux plus rigides, son abdomen sur le haut duquel la couverture, prête à glisser tout à fait, ne tenait plus qu’à peine. Ses nombreuses pattes, lamentablement grêles par comparaison avec la corpulence qu’il avait par ailleurs, grouillaient désespérément sous ses yeux.

« Qu’est-ce qui m’est arrivé ? » pensa-t-il. Ce n’était pas un rêve. Sa chambre, une vraie chambre humaine, juste un peu trop petite, était là tranquille entre les quatre murs qu’il connaissait bien. Au-dessus de la table où était déballée une collection d’échantillons de tissus – Samsa était représentant de commerce – on voyait accrochée l’image qu’il avait récemment découpée dans un magazine et mise dans un joli cadre doré. Elle représentait une dame munie d’une toque et d’un boa tous les deux en fourrure et qui, assise bien droite, tendait vers le spectateur un lourd manchon de fourrure où tout son avant-bras avait disparu.

Le regard de Gregor se tourna ensuite vers la fenêtre, et le temps maussade – on entendait les gouttes de pluie frapper le rebord en zinc – le rendit tout mélancolique. « Et si je redormais un peu et oubliais toutes ces sottises ? » se dit-il ; mais c’était absolument irréalisable, car il avait l’habitude de dormir sur le côté droit et, dans l’état où il était à présent, il était incapable de se mettre dans cette position.

Quelque énergie qu’il mît à se jeter sur le côté droit, il tanguait et retombait à chaque fois sur le dos. Il dut bien essayer cent fois, fermant les yeux pour ne pas s’imposer le spectacle de ses pattes en train de gigoter, et il ne renonça que lorsqu’il commença à sentir sur le flanc une petite douleur sourde qu’il n’avait jamais éprouvée.

« Ah, mon Dieu », songea-t-il, « quel métier fatigant j’ai choisi ! Jour après jour en tournée. Les affaires vous énervent bien plus qu’au siège même de la firme, et par-dessus le marché je dois subir le tracas des déplacements, le souci des correspondances ferroviaires, les repas irréguliers et mauvais, et des contacts humains qui changent sans cesse, ne durent jamais, ne deviennent jamais cordiaux. Que le diable emporte tout cela ! » Il sentit une légère démangeaison au sommet de son abdomen ; se traîna lentement sur le dos en se rapprochant du montant du lit afin de pouvoir mieux redresser la tête ; trouva l’endroit qui le démangeait et qui était tout couvert de petits points blancs dont il ne sut que penser ; et il voulut palper l’endroit avec une patte, mais il la retira aussitôt, car à ce contact il fut tout parcouru de frissons glacés.

Il glissa et reprit sa position antérieure. « À force de se lever tôt », pensa-t-il, « on devient complètement stupide.

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La métamorphose

Franz Kafka, Miquel Barcelo trad. Jean-Pierre Lefebvre

Paru le 22/10/2020

160 pages

Editions Gallimard

45,00 €