Première partie
Chapitre 1
Je cours. Je cours. Je tombe. Je me relève. Je serre mon arme contre moi. Elle entrave ma fuite. Je ne veux pas l’abandonner. Je la serre, fort.
J’enjambe les talus. Des branches me fouettent le visage. Je cours. Je cours…
Je n’en peux plus.
Il fait encore nuit.
Cette forêt n’en finira jamais.
J’ai peur.
Peur que les chefs ne s’aperçoivent de mon absence. Peur qu’ils ne se lancent à ma poursuite, qu’ils ne m’abattent comme une bête.
Comme ils ont abattu Cobra.
Masses sombres des arbres à l’infini. Des monstres. Des menaces.
Je vais me perdre.
Dans cette jungle, seul, je vais crever.
Cobra !
L’image ne me quitte plus.
Non !
Cobra s’écroule, une balle en plein cœur.
Une seconde plus tôt, il vivait… Une seule seconde de non-obéissance et…
J’ai peur.
Je ne comprends plus.
Mon camarade par terre, abandonné, tel un chien.
Pas pu fermer l’œil de la nuit de bivouac.
Les autres n’ont rien dit. D’accord avec l’ordre d’exécution ? Ou, comme moi, glacés jusqu’au plus profond d’eux-mêmes ?
Nuit horrible.
Décision prise.
Je dois partir avant le lever du jour. Ne rien dire à personne, à aucun de mes compagnons de guerre.
Partir. Vite. Fuir.
Je cours. Je cours. Je tombe. Je me relève. Je serre contre moi mon arme. Elle entrave ma fuite. Je ne veux pas l’abandonner. Je la serre, fort. Mon seul bien. Ma raison d’être. Ma puissance.
Pourquoi cette balle en plein cœur ?
Depuis combien de temps je m’enfonce dans cette forêt ?
Deux heures ? Trois heures ? Plus aucune notion du temps.
J’épie le moindre bruit.
Des chiens aboient ! Des hommes crient ! Une meute à ma poursuite ?
Je m’immobilise pour écouter.
Non, le silence. Le noir. Le silence noir, absolu, total.
Commencent les pépiements des oiseaux : l’aurore va se lever.
Je reprends ma fuite.
Mon corps me pèse, mes jambes, mes pieds sont de plomb.
Mon pantalon, que j’ai accroché à une branche, est déchiré.
Je n’en peux plus, je vais tomber.
Soudain, entre des lianes, j’aperçois une lueur.
Le jour se lève et la fin de la jungle est là.
Si proche.
Elle me paraît inaccessible.
Douleur aiguë. Point de côté. Je suis incapable de courir à présent. Je marche, ma casquette est inondée de sueur.
Les arbres s’espacent. Le ciel apparaît.
Une route de terre ! La vie réelle !
Je m’apprête à l’emprunter mais je m’arrête dans mon élan. On ne doit pas me voir, me retrouver. Rester prudent… Ils sont partout, je suis bien placé pour le savoir.
Mon uniforme – mon bel uniforme, chemisette et pantalon bariolés aux couleurs de la forêt, qui hier encore était ma fierté, dont je prenais tellement soin, aujourd’hui sale, déchiré – est celui d’un déserteur. Celui d’un homme habité par la peur.
Non, pas un homme. Un adolescent. À peine sorti de l’enfance.
Je me glisse dans le fossé.
Ainsi dissimulé, je vais pouvoir avancer à plat ventre, ramper comme je l’ai si souvent fait.
Extraits
Commenter ce livre