Préface
Alors que dans ce H. Hesse nommait « l’ère de la page des variétés », on est submergé par des « produits » théoriques quelque peu frelatés, alors qu’il est fréquent que des pickpockets institutionnalisés (journalistes, universitaires indélicats) dérobent et utilisent à leur façon les analyses faites sur les éléments essentiels de la postmodernité, il est satisfaisant de lire, dans les pages qui suivent, l’expression d’une pensée humble et authentique. Ce Flâneur postmoderne, que nous propose Shin Jieun, réactualisant les prospectives visions de Walter Benjamin et mes propres intuitions sur le « nomadisme », permet de porter un regard éclairant sur nombres de pratiques propres à notre monde contemporain.
Ce qui est, certainement, la spécificité de ce dernier est l’esthétique. En effet, à l’image de ce que fut le politique pour la modernité, l’esthétique risque d’être la marque des sociétés contemporaines. Esthétique qu’il faut bien sûr comprendre en son sens étymologique : le fait d’éprouver, ensemble, des émotions. C’est une telle esthétique émotionnelle qui fonde la communauté, qui fonde le vivre-ensemble fondamental en train de se parfaire sous nos yeux.
Tout cela ne caractérise-t-il pas ces étonnantes attitudes nomades contemporaines, fondées sur l’émotionnel et ne se préoccupant que peu, ou pas du tout, des conséquences de leurs actes ? Les familles plurielles, ou les amours successifs et éphémères, le montrent dans le domaine des affects. La versatilité politique, ou les variations idéologiques, en témoignent pour ce qui concerne la vie publique, l’acceptation des lois anarchiques de la production et, en même temps, l’extraordinaire méfiance à leur égard, en font foi dans ce que l’on peut appeler le désordre économique. Shin Jieun ne parle-t-elle pas d’un « anarchisme paisible » ? Il y a, en tout cela, une ambiance d’insouciance ne favorisant pas le souci du lendemain, mais, bien au contraire, un désir de vivre au présent en référence à une manière d’être qui s’est, au cours des âges, progressivement constituée.
Si l’on essaie de définir une telle ambiance, on peut la rapprocher de la créativité du paganisme éternel. Paganisme s’employant à empoigner la vie, à empoigner ce qu’elle offre, ce qui se présente. Exubérance païenne s’attachant à user des jouissances du présent, menant une vie audacieuse, hardie, une vie traversée par la fraîcheur de l’instant en ce que ce dernier a de provisoire, de précaire et donc d’intense. C’est peut-être cela la principale leçon de ce Flâneur postmoderne, l’acceptation d’un monde vivant et frémissant de possibles !
C’est en se réveillant du rêve prométhéen, que de plus en plus nombreux sont ceux qui adoptent une attitude stoïcienne. Stoïcisme généralisé, pour lequel ce sur quoi l’on ne peut rien devient indifférent. Voila bien l’amor fati qui fait que le destin n’est pas seulement échu, il est accepté, voire aimé en tant que tel. Ce qui engendre une certaine forme de sérénité pouvant sembler paradoxale, mais qui est à la base même de ces nombreuses attitudes tribales de générosité, d’entraide, de bénévolat, d’actions humanitaires diverses dont la vie sociale n’est pas avare, et qui ont tendance à se multiplier. Car l’acceptation de ce qui est peut aller de pair avec le souci de participer à ce qui est : non pas maîtriser, mais accompagner un état de fait pour, éventuellement, l’amener à donner le meilleur de lui-même. Faire de sa vie une œuvre d’art. Participer à la créativité générale de la vie, à sa « dépense » aussi. Ainsi que le dit bellement Shin Jieun, « accepter l’étrangeté de soi-même », vivre ses identifications plurielles, voilà ce que sont, selon elle, les caractéristiques essentielles de l’esprit du temps.
Extraits
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