D'ABORD, LA SOUFFRANCE
« L'univers crie. Le béton marque la violence avec laquelle il a été frappé comme mur. Le béton crie. L'herbe gémit sous les dents de l'animal. Et l'homme ? Que dirons-nous de l'homme ? »
Le monde est une souffrance déployée. À son origine, il y a un nœud de souffrance. Toute existence est une expansion, et un écrasement. Toutes les choses souffrent, jusqu'à ce qu'elles soient. Le néant vibre de douleur, jusqu'à parvenir à l'être : dans un abject paroxysme.
Les êtres se diversifient et se complexifient, sans rien perdre de leur nature première. À partir d'un certain niveau de conscience, se produit le cri. La poésie en dérive. Le langage articulé, également.
La première démarche poétique consiste à remonter à l'origine. À savoir : à la souffrance.
Les modalités de la souffrance sont importantes ; elles ne sont pas essentielles. Toute souffrance est bonne ; toute souffrance est utile ; toute souffrance porte ses fruits ; toute souffrance est un univers.
Henri a un an. Il gît à terre, ses couches sont souillées ; il hurle. Sa mère passe et repasse en claquant des talons dans la pièce dallée, cherchant son soutien-gorge et sa jupe. Elle est pressée d'aller à son rendez-vous du soir. Cette petite chose couverte de merde, qui s'agite sur le carrelage, l'exaspère. Elle se met à crier, elle aussi. Henri hurle de plus belle. Puis elle sort.
Henri est bien parti dans sa carrière de poète.
Marc a dix ans. Son père est en train de mourir d'un cancer à l'hôpital. Cette espèce de machinerie usée, avec des tuyaux dans la gorge et des perfusions, c'est son père. Seul le regard vit ; il exprime la souffrance et la peur. Marc souffre aussi. Il a peur également. Il aime son père. Et en même temps il commence à avoir envie que son père meure, et à s'en sentir coupable.
Extraits
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