Cette étude examine les aspects de la souveraineté politique sur la scène élisabéthaine, notamment sur la scène shakespearienne, dans l'Angleterre du XVIIe siècle. A la lumière des analyses consacrées par Walter Benjamin au drame baroque en 1928, et de la réaction que Carl Schmitt leur a opposée dans Hamlet ou Hécube (1956), elle vise à montrer que Shakespeare met en scène la mortalité des corps politiques et la souveraineté nouvelle de l'intrigant dans le temps terrestre. Sommé de maîtriser l'art et le tempo de l'intrigue, le Prince ne sait toutefois pas empêcher la décomposition de l'Etat, aussi bien sur la scène théâtrale - comme personnage - que dans l'Angleterre contemporaine - comme représentant officiel de la Dignité et de l'unité du Royaume. En sondant le vertige mélancolique (et sceptique) d'Hamlet, nous interrogeons dès lors le mouvement des institutions civiles vers l'ordre et la synchronisation du commerce entre les individus, le Prince appelant lui-même de ses voeux un autre "corps politique", un autre gouvernement, une autre discipline, une autre écriture du pouvoir. Le moment pré-hobbesien de la scène élisabéthaine coïncide avec le déchaînement de la mélancolie et du scepticisme baroques, la création théâtrale anticipant de la sorte certains accents et aspects de la révolution puritaine. L'ordre et la synchronisation du commerce entre les individus pourraient bien constituer, du reste, la réponse puritaine - et non pas hobbesienne - à ce "monde à l'envers" qui préoccupe tant les dramaturges et leurs spectateurs. Irréductible au projet de l'ordre et de la synchronisation dans sa variante puritaine, la scène shakespearienne reflète et réfléchit suffisamment celui-ci pour fournir l'occasion d'interroger ici le déploiement du théâtre de la politique moderne, notamment sa genèse dans la mélancolie.
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