JANVIER 1901
KITTY COLEMAN
Je me suis réveillée ce matin avec un inconnu dans mon lit. Cette tête blonde n’était manifestement pas celle de mon mari. Devrais-je m’en offusquer ou m’en amuser ?
Très bien, pensai-je, voilà une façon originale de commencer le siècle.
Me souvenant alors de la veille au soir, j’ai eu un haut-le-cœur. Où Richard se trouvait-il dans cette immense maison et comment étions-nous censés revenir à la case départ ? Tout le monde ici, y compris l’homme à mes côtés, était bien plus expert en la matière que moi. Que nous. Richard avait eu beau frimer hier soir, il ne s’y connaissait pas plus que moi, disons qu’il était plus enthousiaste. Beaucoup plus enthousiaste. De quoi m’inciter à réfléchir.
Je poussai du coude le dormeur, d’abord avec douceur puis plus énergiquement jusqu’à ce qu’il finisse par se réveiller avec un grognement.
« Sortez d’ici », ordonnai-je. Et il obtempéra sans murmurer. Dieu merci, il n’essaya pas de m’embrasser. Je ne saurai jamais comment j’ai pu supporter cette barbe toute la nuit. Sans doute le bordeaux avait-il aidé. J’avais les joues rouges tant elles étaient égratignées.
Quand Richard arriva quelques minutes plus tard, tenant ses vêtements roulés en boule, je pus à peine le regarder. J’étais à la fois embarrassée et en colère — en colère de me sentir embarrassée sans que lui-même le fût. C’était d’autant plus rageant qu’il se contenta de m’embrasser en murmurant « Bonjour, chérie », et se mit à s’habiller. Je pouvais sentir son parfum à elle dans le cou de Richard.
Et pourtant je ne pouvais rien dire. Comme je l’ai souvent répété, j’ai l’esprit large, je m’en fais un point d’honneur. Aujourd’hui, je m’en mords les doigts.
Allongée, je regarde Richard s’habiller et je me surprends à penser à mon frère. Harry n’avait de cesse de me taquiner car, à l’en croire, je pensais trop, mais il refusait d’admettre qu’il m’y incitait. À quoi ont servi toutes ces soirées passées à réviser avec moi ce que ses professeurs lui avaient appris le matin même — il prétendait que c’était pour l’aider à s’en souvenir — si ce n’est à m’apprendre à réfléchir et à dire ce que je pense ? Peut-être le regretta-t-il par la suite. Je ne le saurai jamais. Je sors à peine de son deuil, mais il m’arrive d’avoir encore l’impression de serrer dans ma main ce télégramme.
Harry serait mortifié de voir où m’ont menée ses préceptes. Non qu’il faille être bien malin pour ce genre de choses : la plupart de ceux qui sont en bas, y compris ma barbe blonde, sont bêtes à bouffer du foin. Pas un avec lequel j’aurais pu avoir une conversation intelligente, j’ai dû me consoler avec le vin.
À vrai dire, je suis soulagée de ne pas appartenir à ce lot, barboter à l’occasion dans ses bas-fonds me suffit amplement. Peut-être Richard a-t-il une perspective différente, mais s’il voulait mener cette sorte de vie, il n’a pas épousé la femme qu’il lui fallait. À moins que ce ne soit moi qui aie mal choisi, même si jamais cela ne m’eût effleuré l’esprit à l’époque où c’était l’amour fou entre nous.
Extraits
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