Avant-propos
« Où va la Science ? », se demandait déjà Max Planck il y a trois quarts de siècle dans un livre célèbre consacré au fonctionnement de la recherche. Cette question est aujourd’hui d’une brûlante actualité. Y a-t-il un pilote dans l’avion science ? Non. L’avion science risque-t-il de s’écraser ? Le risque est réel. C’est la thèse de cet essai.
On dira à la lecture de ce livre que je noircis le tableau. C’est vrai. La science continue de progresser. Non, tous les articles scientifiques ne sont pas faux. Oui, la plupart des chercheurs sont honnêtes et consciencieux. Oui, le système de financement continue de financer de bons projets. Mais des histoires exemplaires, même si elles restent majoritaires, ne peuvent masquer le fait qu’un système est à bout de souffle lorsque les dysfonctionnements sont trop nombreux. Dysfonctionnements que j’ai choisi de souligner.
On dira aussi que je crache dans la soupe. C’est exact. Mais lorsque la soupe devient saumâtre, il faut avoir le courage de le dire. La communauté scientifique, à moins qu’elle ne soit déjà en coma dépassé, ne peut plus faire semblant de s’accommoder d’un fonctionnement interne dans lequel l’attribution des moyens repose sur la publication d’articles dans quelques journaux huppés dont le ticket d’entrée est – de l’aveu général – une loterie, où il est plus important pour faire carrière d’être un bon manager et un bon communicant que d’avoir de l’imagination et de la rigueur, et où l’évaluation anonyme par les pairs, clé de voûte de l’ensemble, s’apparente au lancer de dés.
On dira aussi que critiquer publiquement la science en tant qu’institution nuit aux chercheurs, et qu’il vaut mieux laver son linge sale en famille. Le problème est que la grande lessive attendue depuis des années n’a pas eu lieu. Cette apparente apathie de la communauté des chercheurs est peut-être le signe le plus grave de la maladie dont souffre la science moderne. En 1992, après que Nature et Science eurent rétracté d’un coup une quinzaine d’articles du faussaire Schön1, les rédacteurs en chef de ces revues annoncèrent la main sur le cœur qu’on ne les y reprendrait plus. Quinze ans plus tard, le taux de rétraction d’articles n’a jamais été aussi haut. La communauté scientifique ne semble pas s’en émouvoir outre mesure. En 2005, une étude publiée dans Nature montra qu’un tiers des chercheurs américains reconnaissaient prendre des libertés avec les règles déontologiques. On aurait pu s’attendre à ce que cette révélation fasse l’effet d’un coup de tonnerre, et soit suivie toutes affaires cessantes d’états généraux de la profession afin de remettre un minimum d’ordre. Rien ne se produisit.
Manque de volonté réelle ou impossibilité structurelle de réformer due à une trop grande dilution des responsabilités ? Certainement un peu des deux. La science n’a pas de directorat ni de comité central. Elle fonctionne par consensus et suivant des traditions, dans le droit fil de la société anglaise qui lui a donné ses contours actuels. « If it ain’t broke, don’t fix it2 », dit un dicton anglais. Alors, jusqu’où ira le processus de décomposition ? L’une des caractéristiques d’un système décadent est justement son impossibilité à guérir ses maux bien que ceux-ci empirent.
Extraits
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