Introduction
Les Français ne doutent guère de leurs capacités à réaliser des exploits aussi extraordinaires qu’inattendus. Ils n’hésitent guère à s’approprier collectivement les performances réalisées par une petite poignée d’entre eux. Qu’il s’agisse de battre le Brésil au football, les All Blacks au rugby, de vaincre de nouveaux sommets ou de traverser les océans en un temps record, les meilleurs de nos compatriotes entretiennent la légende de « l’impossible, pas français ». Nos entreprises industrielles ne sont pas en reste, capables de mobiliser l’élite de nos ingénieurs et de nos techniciens, de nos médecins et de nos chercheurs, autour de « grands projets » : premières mondiales médicales, record de vitesse d’un TGV ou lancement réussi d’un nouveau satellite occupent de temps à autre la une de nos journaux et flattent périodiquement notre orgueil national. Nos compatriotes sont beaucoup moins sûrs de leur excellence quand l’enjeu ne réside plus dans la mobilisation de commandos d’élite autour d’un grand défi mais, simplement, prosaïquement, dans l’organisation d’une coopération harmonieuse et efficace entre des salariés plus humbles ayant à remplir des tâches plus modestes.
L’aspiration à l’originalité et à la grandeur, qui inspire les rêves de nos champions sportifs ou industriels, s’accompagne en France d’une réelle difficulté à valoriser les tâches ordinaires et à reconnaître les mérites de ceux qui les effectuent. Capables de se mobiliser individuellement pour faire reconnaître leur « vraie valeur », nos compatriotes éprouvent des difficultés à être « efficaces, ensemble », en particulier quand ceux qui sont censés coopérer s’estiment empêchés « d’exister à leur idée » dans leur travail. Beaucoup parmi nos salariés refusent délibérément de faire du zèle ou même de se montrer accommodants à l’égard de ceux qui, supérieurs hiérarchiques, collègues ou clients, oublient trop souvent de leur manifester la considération à laquelle ils estiment avoir droit. Cependant, rares sont ceux parmi eux qui, pour avoir fait définitivement leur deuil de toute perspective de reconnaissance professionnelle, ont décidé, une fois pour toutes, de refuser toute offre de coopération susceptible d’améliorer ou de restaurer la position qu’ils occupent dans leur organisation. La question posée in fine n’est donc pas celle de savoir si les Français sont plus ou moins « aptes à coopérer » que leurs voisins ou concurrents mais plutôt celle d’analyser les conditions dans lesquelles ils sont disposés à le faire.
L’objet de ce livre est précisément d’explorer les conditions dans lesquelles peut être relevé, en France, le défi que constitue l’organisation de coopérations efficaces entre des salariés particulièrement attentifs à défendre l’idée qu’ils se font d’un exercice honorable de leur métier. Sans méconnaître les difficultés que rencontrent les autres pays dans cet exercice, cet ouvrage entend étudier, sans complaisance et sans esprit de dénigrement, la façon dont peut être relevé ce défi coopératif qui prend, comme nous tenterons d’en convaincre nos lecteurs, une dimension spécifique en France.
Extraits
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