#Polar

Un vent de cendres

Sandrine Collette

Des années plus tôt, un accident l'a défiguré. Depuis, il vit reclus dans sa grande maison. Jusqu'au jour où surgit Camille... Malo a un mauvais pressentiment. Depuis leur arrivée au domaine de Vaux pour faire les vendanges, Octave, le maître des lieux, regarde sa soeur Camille d'un oeil insistant. Le jeune homme voudrait quitter l'endroit au plus vite, partir loin de cette angoisse qui ne le lâche plus. Camille trouve ses inquiétudes ridicules, mais Malo n'en démord pas. L'étrange fascination d'Octave pour Camille, pour ses cheveux d'un blond presque blanc, le met mal à l'aise. Camille, elle, oscille entre attirance et répulsion envers cet homme autrefois séduisant, au visage lacéré par une vieille blessure. Ils se disputent et, le troisième jour, Malo n'est plus là. Personne ne semble s'en soucier, hormis Camille qui veut retrouver son frère à tout prix. Mais leur reste-t-il une chance de sortir vivants de ce domaine, ou le piège est-il déjà refermé ?

Par Sandrine Collette
Chez Editions Denoël

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Genre

Policiers

Prologue
Au moment où Andreas laisse revenir le volant dans l'axe, après ce sale virage, la chose est déjà là, tapie quelque part. Mais il ne la perçoit pas. Ça plane au-dessus de lui sans un bruit, sans un signe, impalpable. La faute peut-être aux champs de colza qui défilent en longues bandes jaunes flou-tées sur le bas-côté, et leur parfum entêtant, et Laure qui fre­donne en regardant le paysage par la vitre baissée. Laure dont les cheveux s'envolent et lui reviennent sans cesse dans les yeux à cause du toit ouvrant, mais il fait si doux. Elle a levé le bras pour sentir l'air lui passer entre les doigts, Andreas roule vite, comme toujours. Elle en a les larmes aux yeux. Une poussière sans doute, elle rit toute seule. Resserre le col de sa chemise —- elle est si fragile. Tu as froid, dit Andreas. —- Non, je fais attention, c'est tout. Tu me connais. —- On s'arrête prendre un café ? — - Bientôt.
À l'arrière, Octave se redresse, se penche entre eux deux.
-— Un café, je suis pour. On n'a pas assez dormi.
Andreas le repousse en souriant.
-— Bientôt, on a dit.
Une si belle journée. Laure renverse la tête en arrière et exhale un profond soupir avant de reporter machinalement son attention sur la route. C'est là, à quelques poignées de secondes cette fois. Cela flotte dans la tension de l'air. Mais si bien caché, et tellement impossible. Zut, dit Laure, je crois que j'ai oublié mon livre là-bas.
-— Ils nous l'enverront.
-— Petite tête, se moque Octave depuis la banquette arrière.
Un sourire en coin sur le visage d'Andreas. Et puis le silence à nouveau qui les tenaille, comme la fatigue, le bruit du moteur et le souffle de l'air en bercement ; de temps en temps Laure jette un œœil sur Andreas pour vérifier qu'il ne s'endort pas. Elle n'a pas besoin de demander, il la regarde et il comprend, secoue doucement la tête, tout va bien. Il est clair. Elle acquiesce, elle aussi.
-— Il était bien ce mariage, non ?
Andreas hausse un sourcil.
-— Je croyais que tu détestais ça.
-— Je déteste ça, confirme-t-elle en appuyant sur les trois mots.
Il sourit, baisse le pare-soleil. La lumière l'a ébloui en tra­versant les arbres. La route file tout droit maintenant et il la devine devant lui de colline en colline, s'effaçant dans les creux et réapparaissant en haut des petits monts. Comme si elle lisait dans ses pensées, Laure murmure :
-— C'est joli par ici. Ça nous change.
-— C'est toujours l'histoire de l'herbe plus verte... Tu ne les aimes pas, nos coteaux de vignes ?
Elle sourit. Si. Si bien sûr. Tu as raison. Soudain elle se redresse sur son siège, tend le doigt devant elle.
-— Regarde là-bas, c'est Matthieu et Aude, non ? On les a rattrapés. On est partis au moins un quart d'heure après eux.
Andreas pousse un cri joueur et appuie sur l'accélérateur, faisant bondir la Mercedes. En cinq cents mètres ils rattrapent la voiture blanche.
-— Attends ! se précipite Laure.
Elle défait sa ceinture de sécurité, se lève et émerge par le toit ouvrant. Andreas tique un peu : ses chaussures écrasent le cuir du siège. Il ne dit rien cependant. Laure fait de larges signes et il voit le bas de son ventre bronzé quand elle agite les bras. Une sorte d'émotion le fait frissonner. Un coup d'œœil furtif vers Octave. Évidemment, il regarde aussi. Quand il s'aperçoit qu'Andreas le fixe dans le reflet de la vitre, il fait mine de viser en riant la voiture devant eux, comme dans la ligne de mire d'un fusil.
-— Ohé, hurle Laure là-haut.
Ils doublent dans un vrombissement de moteur. Laure se retourne avec de grands gestes, étonnée et ravie par la vitesse avec laquelle la voiture s'arrache au macadam. Dans le rétro­viseur, Andreas lui aussi jette un œœil à la Peugeot qui leur fait des appels de phares. Bande de petits vieux, se moque-t-il en s'exclamant. Deux fois, trois fois les phares s'allument der­rière eux.
Dix fois.
Et le klaxon d'un coup, long, insistant. Cette fois Andreas fronce les sourcils sans lâcher le rétroviseur des yeux. Bizarre. Lève le pied, ils ont peut-être un souci avec leur bagnole française. Lui n'a jamais acheté autre chose que Mercedes ou BMW. Des valeurs sûres. Il ne changerait pour rien au monde. Si tout le monde faisait comme lui !
À l'instant même où il regarde à nouveau devant lui, il comprend. En haut de la côte, glissant en travers des deux voies, le camion est déjà presque sur eux.
-— Laure !
Il a hurlé, la tirant par le bas de la chemise. Le camion klaxonne comme une alarme. Mais Laure n'entend pas, elle lui tourne le dos, riant toujours.
-— Allez ! encourage-t-elle.
Andreas rugit cette fois :
-— Laure !
Les bras arc-boutés sur le volant, il écrase la pédale de frein au risque de faire basculer Laure, une pensée l'a traversé comme un éclair : De toute façon on va y rester. Le bruit des pneus brûlant le bitume l'assourdit littéralement. La voiture tient le cap, roues bloquées, des voyants sont allumés sur le tableau de bord, Andreas ne regarde pas. À cette vitesse, ils ne sont plus qu'à une vingtaine de mètres du camion. La seule chose que voie encore Andreas, ce sont les sangles déchirées battant l'air, libérant le chargement qui glisse en face d'eux. Des poutres en métal. L'horizon est saturé de barres en acier, tel un terrible jeu de mikado. Le klaxon du camion en sirène de bateau. Et le long cri d'Octave juste derrière.
-— Non ! Non !
Au moment de l'impact, un automatisme stupide, Andreas regarde le compteur. Encore cent dix-neuf kilomètres heure. Il se dit : C'est trop vite.
Et puis il entend le choc. Les pneus qui éclatent sur les poutres au sol, les jantes hurlant dans un bruit de métal. Mais la voiture tangue à peine. Un instant, incrédule et hagard, il pense : On s'en est sortis. On est passés au travers.
Dans la fraction de seconde qui suit, le corps décapité de Laure s'effondre sur lui.

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13/02/2014 260 pages 18,00 €
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