#Roman étranger

Coupable

Poppy-Z Brite

Recueil de 21 articles, essais, analyses, chroniques, Coupable est une plongée dans l'intimité de l'auteur culte qu'est Poppy Z Brite. Sexe, drogues, rock'n'roll, décadence, passions et influences littéraires de Baudelaire à King ou Burroughs, culture gothique, underground fantastique... de quoi comprendre l'univers et les ressorts secrets d'un écrivain au romantisme noir qui bouscule l'Amérique depuis son premier livre.

Par Poppy-Z Brite
Chez Au Diable Vauvert

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Genre

Littérature étrangère

 

 

 

 

 

Sur la décadence*

 

 

« C’est avec peine que je parle de sa déchéance. [La Nouvelle-Orléans] s’estompe, s’effrite, se désagrège – lentement mais sûrement […] au sein de ce paradis en ruine qu’est la Louisiane. »

Lafcadio Hearn, 1877

 

 

 

À La Nouvelle-Orléans, beauté et décomposition sont toujours allées de pair. Nous logeons nos morts aussi dignement que des maîtresses quarteronnes, dans des nécropoles stylisées que nous abandonnons ensuite à la pourriture. Nous vendons à nos touristes de la « Poussière de cimetière » et des « Os de chat noir ». Nous inhalons le fumet capiteux du Vieux Carré, encens et fleurs tropicales, bière et pisse, huîtres chaudes et crottin de mulet. Le jazz est né dans les riches bordels de Storyville1. Aujourd’hui, nos meilleurs jazzmen viennent de Tremé, un quartier historique pourtant longtemps ravagé par la pauvreté et mutilé par une autoroute.

La décadence est un concept redondant à La Nouvelle-Orléans. Ce mot n’a ici que des associations heureuses (quoique légèrement grisantes) : de somptueux desserts flambés, les nuits parfumées du Vieux Carré, un festival de la Gay Pride si réussi qu’il est mondialement connu sous l’appellation « Mardi gras gay ». À La Nouvelle-Orléans, mieux que nulle part ailleurs, nous sommes en mesure de mesurer l’évolution du concept de décadence depuis sa naissance.

C’est en 1734 que le baron de La Brède et de Montesquieu publia ses Considérations sur les causes de la grandeur des Romains et de leur décadence. C’était sans doute la première fois que le terme de « décadence » était employé en littérature pour décrire un processus (censément) inévitable gouverné par les lois de la science – dans ce cas précis, le déclin et la chute de l’Empire romain.

La « décadence » selon Montesquieu désignait le pourrissement simultané de la vie culturelle et de la puissance militaire romaines. La responsabilité en était en grande partie attribuée à l’empereur Néron, qui avait laissé son empire sombrer dans la corruption politique, trop occupé qu’il était à aveugler ses courtisans par son génie artistique – quoiqu’il s’exprimât dans le registre de la mauvaise poésie plutôt que dans celui de l’art lyrique. Montesquieu attribuait son comportement dissolu et prétentieux à l’influence des Grecs, remarquant que Néron était allé jusqu’à épouser un esclave châtré afin de mieux imiter ceux-ci.

En 1734, donc, la décadence était déjà associée à l’art, à l’excès et à l’homosexualité. Mais plus d’un siècle devait s’écouler avant que quoi que ce soit de « décadent » puisse être considéré comme digne d’un tant soit peu de respect.

 

« Longtemps ! toujours ! ma main dans ta crinière lourde

Sèmera le rubis, la perle et le saphir,

Afin qu’à mon désir tu ne sois jamais sourde !

N’es-tu pas l’oasis où je rêve, et la gourde

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14/05/2002 246 pages 17,00 €
Scannez le code barre 9782846260329
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