Editeur
Genre
Littérature française
Chapitre 1
Tout en repliant son taleth, le rabbin pensa qu’il devait se dépêcher s’il voulait faire valider son billet de loto pour le tirage du soir même. Déjà il rangeait en grande hâte le châle dans sa pochette, quand la secrétaire du consistoire local vint lui dire que madame Aboth l’attendait pour lui parler « personnellement ».
Il pesta intérieurement : toutes ces femmes allaient finir par le rendre fou ! Depuis dix mois qu’il était veuf c’était l’enfer : tout ce que la communauté comptait de femmes seules - qu’elles fussent divorcées, vieilles célibataires ou veuves – s’accrochaient à ses basques, déployant des trésors d’imagination pour capter son attention ou pour le séduire ; Celle ci s’était soudain transformée en pratiquante exemplaire venant assister à chaque office, accoutrée d’une abominable perruque synthétique sur laquelle glissait inexorablement un chapeau échappé de la belle époque, qu’elle devait constamment remettre en place.
Telle autre, sous des prétextes divers, investissait son bureau à tout bout de champs, vêtue de robes si décolletées qu’on lui voyait le cœur et presque le nombril. Une fois elle avait même trouvé le moyen de s’asseoir sur sa table et, sous couvert de lui montrer des photos du mariage de sa fille à Jérusalem, lui avait collé un genou sous le nez…
Une autre encore le gavait de pâtisseries orientales et en profitait, à chaque fois, pour débiner ces « Ashkénazes » « qui ne peuvent pas comprendre notre mode de vie à nous ». « On est tous deux d’Afrique du nord : notre vie c’est le soleil, la couleur, les épices… comment voulez vous qu’elles comprennent nos chants, nos danses, nos coutumes…Ah ! monsieur le rabbin il faut vous remarier avec une de chez nous. Une qui vous fera les bons petits plats que vous aimez : la soupe aux fèves fraîches et l’agneau aux pruneaux pour Pessah et pas ces affreuses boulettes de Matzoth et cette dégoûtation de carpe farcie ! »
Une autre encore, richissime veuve d’un gros industriel, l’invitait presque chaque semaine à des réceptions mondaines, auxquelles participait le gratin local, dans sa magnifique villa avec piscine et près d’un hectare de terrain en plein centre ville ; ou le conviait à venir passer le dimanche-lundi dans « son cabanon » du bord de mer (en réalité une villa, qui devait compter quatre ou cinq chambres, construite en bordure de plage près de Valras). Dans cet environnement enchanteur, où il se rendit une fois, elle lui confia combien il était difficile pour une femme comme elle de supporter la solitude depuis que son pauvre mari était décédé.
« Bien sûr il avait fait en sorte qu’elle soit à l’abri du besoin pour les reste des ses jours, et même, elle pouvait bien le lui confier, sa fortune était largement suffisante pour vivre à deux très, très confortablement … mais que voulez vous, monsieur le rabbin, qui pourrais je trouver, moi, femme d’âge mûr, juive de surcroît dans ce pays où nous sommes si peu nombreux… »
Extraits
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