première partie
L’éloignement des peines
I
Tobias n’est pas très grand. Il est brun. Il a une voix de folle et de petit garçon, comme s’il n’avait jamais guéri de son enfance. Il peut être excessivement calme, mais la plupart du temps, il s’agite comme un bon animal, pour fuir ses papillons noirs.
Il n’aurait pas pu vivre sans béquilles. Alors même si ça l’abîme, même si ça le détruit doucement, ça vaut mieux que de mourir tout de suite, noyé dans la Spree ou pendu à une ceinture.
Ce n’est pas qu’il n’a pas le courage de vivre, mais plutôt, qu’à force de se faire battre, il n’est plus fait pour ça. Les drogues le sauvent comme elles en tuent d’autres. Une destruction lente guidée par son instinct de conservation. Ça empêche le passage à l’acte, le coup définitif et brutal qu’il se lâcherait sur la nuque.
L’enfance de Tobias a le tragique des faits divers. Son oncle l’a déchiré ; des années de souffrance que personne ne voulait croire. Dès qu’il allait à Cologne, c’était la même histoire, il savait que l’Oncle le serrerait entre ses bras forts, qu’il en reviendrait un peu plus brisé. Mais il n’en parlerait pas, on ne l’avait pas cru la première fois ; il était temps de se taire et de serrer les gencives. Ce ne serait qu’une semaine entre ses mains ; il finirait par rentrer chez son père ; on ne s’occupera pas de lui mais on ne lui fera pas mal. Il retournera à l’école, éloigné de l’Oncle jusqu’aux prochaines vacances. Quelques mois de tranquillité.
Tobias n’a jamais aimé les vacances.
On ne savait pas trop quoi faire de cet enfant qui à sept ans avait déjà essayé de se tuer, la tête dans le lavabo. On l’a envoyé chez sa mère, bien loin de l’Allemagne paternelle, à New York.
L’Oncle est mort à ce moment-là, quand on l’avait enfin éloigné de lui, quand Tobias commençait à être en âge de se défendre. Les contretemps de l’existence.
Aux États-Unis, la mère était aimante comme une mère peut l’être sur le tard. Les dés étaient jetés, l’enfance avait laissé ses marques. Elle ne savait pas bien comment s’y prendre avec ce fils qui doucement devenait adulte. Elle ne savait pas où placer sa tendresse. Elle sentait que Tobias était brisé déjà, sans se l’expliquer. Alors, avant de partir travailler dans son aéroport, elle lui laissait toujours sur la table de la cuisine quelques billets et un bon plat à réchauffer, délicatement enveloppé d’aluminium. Elle ne savait pas quoi faire d’autre. De temps en temps, elle l’emmenait au cinéma.
Tobias parlait peu, comme s’il n’en avait pas éprouvé le besoin.
Tous les jours, il fallait se lever, aller à l’école, parler anglais, jeter délicatement le plat préparé dans la poubelle de l’immeuble pour que sa mère ne retrouve pas les restes, s’acheter un hot-dog ou une part de pizza au coin de la rue avec les dollars de la table de la cuisine.
Extraits
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