#Roman francophone

Salone

Laurent LD Bonnet

Un camion brinquebalant fonce en direction de Freetown. La poussière retombe lentement sur la piste. Dans la cabine, saturée de crasse et de moiteur, Jamil échafaude des plans d'avenir. Sous le siège, les diamants dérobés permettent tous les rêves de pouvoir. Autre année, autre décor. Du sable, une plage, un bar face à l'océan. Nelson le propriétaire et Gladys l'écrivaine sont en pleine conversation. Scène tranquille ? Ne nous y trompons pas. Les deux amis aux destins chahutés observent sans naïveté la valse des militaires et des puissants, comme des pantins qui se chassent les uns les autres. Poussière dans le sablier, qui coule, qui s'écoule. Plus loin dans le temps à moins que ce ne soit plus tôt : Shaun est en fuite et ne doit pas se retourner. Difficile d'oublier pour ce médecin d'une ONG la tourmente qui a englouti la femme aimée dans le chaos des kalachnikovs et de machettes brandies au moindre prétexte. Histoires particulières et pourtant toutes liées rage, au coeur et colères mal rentrées, les personnages de ce roman d'aventures se croisent, se découvrent, s'aiment et se perdent dans les troubles d'un pays en tension permanente. Chacun à sa manière, qu'il le veuille ou non, porte une partie de l'histoire de la Sierra Leone, chacun incarne pour toujours un morceau de l'existence de Salone. A la fois fresque historique, journal intime, roman d'aventure et cri du coeur, Salone nous bouleverse et éveille notre conscience à mesure que l'intrigue nous plonge dans le chaos d'un monde. Le singulier et l'universel se mêlent habilement dans ce roman au style enlevé. Des personnages attachants, une construction aux voix multiples qui mêle les petites histoires et l'Histoire. Une lecture stimulante !

Par Laurent LD Bonnet
Chez Vents d'ailleurs

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Genre

Littérature française

Lumley Beach semblait déserte.

‒Kushe O, mi krio sister, O di Bodi ? Bonjour, ma sœur krio. Comment va ?

‒Ah tell god tanki , Nelson. Merci à Dieu, ça va Nelson.

Le bras tendu par la portière, Gladys répondait au salut joyeux de Nelson.

Il venait d’arriver et relevait les volets en bois de la cabane. Elle se dit que ce gars, ici, sur cette plage, c’était bien ! Pas l’homme bien sûr - quinze ans de moins qu’elle, au bas mot - mais sa présence tous les matins, avec sa cahute, ses six tables aux toits de palmes jetées sur le sable, sa constance et sa bonne humeur.

Gladys fit demi-tour sur la piste déserte et manœuvra pour garer la Land de l’autre côté de la route. Dans deux heures le soleil passerait l’aplomb de la colline. Vingt minutes plus tard, la tôle serait brûlante et l’habitacle deviendrait une fournaise. Mais Gladys serait déjà partie.

Elle ôta ses sandales et traversa en évitant les pierres aiguës qui dépassaient de la terre. Bientôt 50 ans... Elle voulait paraître agile, même si le poids de ses rondeurs pesait un peu plus qu’avant sur le sol. Nelson s’affairait dans la cabane. Elle l’entendait chantonner. Les gamelles s’entrechoquaient.

Gladys aimait les matins de l’océan à marée basse, quand il l’accueillait, elle, les deux pieds enfoncés dans le sable de la nuit, avec ce roulement feutré du ressac qui n’appartient qu’à l’aube et aux petites heures qu’elle enfante. Dans ces moments là, pendant qu’il retenait son souffle, Gladys aimait écrire. Plus tard, elle lui concédait la possibilité de déferler bruyamment, mais sans elle. L’an passé, après ces courtes balades solitaires, elle rejoignait vite son appartement de Hill Coat, essayant de préserver l’immense intimité, ses derniers mots survivants. Ils fuyaient, s’écoulaient et Gladys gravissait l’escalier en courant pour les jeter sur le papier.

Mais depuis quelques semaines tout allait mieux, cet homme avait ouvert son bar. Sans doute avait-il estimé, comme d’autres, que le sommet des chefs d’État africains de juillet bougerait les choses.

 

 

 

 

Un frémissement avait traversé Freetown. Des villas blanches bourgeonnaient partout dans les collines. Au-dessus de la plage un hôtel moderne surgissait dans la végétation et, au milieu des camions-citernes défilant jour et nuit, une armée d’ouvriers recrutés à la va-vite et pataugeant dans l’eau sous la lumière des projecteurs, avait rénové la pelouse du vieux terrain de golf en bord de mer, comme si une verdeur nouvelle avait pu aider la relique coloniale à s’ériger en symbole d’un temps plus faste et pas tout à fait révolu.

Un bel enrobé noir luisant recouvrait à présent la portion utile de la piste, uniquement celle qui autorisait l’accès au parc derrière l’enceinte et aux salles de réception, installant à cinq cents mètres du bar, une frontière entre le bitume frais et la terre rouge. On n’entendait plus parler de rien. Mais on devait maintenant sortir un billet de vingt leones pour une livre anglaise. Avant le sommet c’était deux. Le gouvernement de Stevens frôlait la banqueroute. Les prix des denrées grimpaient sans cesse. Le riz surtout, devenu objet de spéculation, ne permettait plus de survivre. La presse officielle, mais aussi les autres qui tentaient de respirer sur la mince limite qui sépare le Consentir du Collaborer, relataient sans dénoncer. Il fallait bien vivre.

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02/10/2012 268 pages 21,00 €
Scannez le code barre 9782364130173
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