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Des hommes tourmentés. Le nouvel Age d'Or des séries : des Soprano et The Wire à Mad Men et Breaking Bad

Brett Martin

"It's not TV, it's HBO" disait à la fin des années 1990 le slogan légèrement prétentieux de la chaîne câblée américaine. Prétentieux peut-être, mais justifié quand l'on voit à quel point cette chaîne, avec des séries comme Les Soprano, Six Feet Under, The lire et plus récemment Girls et Game of Thrones, a changé le statut de ces oeuvres souvent négligées pour leur caractère grand public. Depuis quinze ans, la télévision américaine vit ce que Brett Martin appelle un "Troisième Age d'Or". Son livre raconte comment un média jadis méprisé est devenu objet de toutes les passions avec des séries telles que Breaking Bad, Mad Men ou encore The Shield et Deadwood. Il dresse le portrait des "hommes tourmentés" grâce à qui cette révolution a été possible. Les tourments des antihéros que sont Tony Soprano, Jimmy McNulty, Omar Little, Don Draper ou Walter White font écho à ceux de leurs créateurs : David Chase, David Simon, David Milch, Shawn Ryan, Matthew Weiner et Vince Gilligan. Grâce à cette enquête captivante, Brett Martin nous entraîne dans les coulisses de la création des grandes séries, des bureaux des producteurs à la writers' room où se construit quotidiennement l'architecture des épisodes. Ce livre se nourrit d'interviews, d'anecdotes et d'une connaissance extrêmement documentée de la télévision américaine, pour nous raconter, avec humour et sans complaisance, pourquoi et comment une révolution a eu lieu sur nos écrans.

Par Brett Martin
Chez Editions de la Martinière

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Genre

Cinéma

 

 

 

 

PROLOGUE

 

 

 

 

 

Vous croyez que c’est facile d’être le boss ?

Tony Soprano

 

 

 

Par une froide soirée d’hiver, en janvier 2002, Tony Soprano a été porté disparu et une partie du monde a cessé de tourner.

Ça n’est pas arrivé sans raison. Depuis que la diffusion de la série Les Soprano avait commencé en 1999, transformant Tony – père enclin à l’anxiété, banlieusard en quête de sens, mafieux du New Jersey – en icône pop millésimée, la frustration, l’instabilité et la rage du personnage avaient souvent été indissociables des traits de James Gandolfini, l’acteur qui les incarnait. Le rôle était un sacerdoce qui exigeait non seulement, la nuit, une immense faculté de mémorisation, et de longues journées sous les projecteurs brûlants, mais aussi une descente quotidienne dans les tréfonds de la psyché de Tony – au mieux un endroit inquiétant à fréquenter, au pire le royaume d’un esprit hideux, violent et sociopathe.

Certains acteurs – notamment Eddie Falco, qui interprétait Carmela Soprano, sa femme – sont capables d’explorer de telles profondeurs sans perdre pied. Douée d’une mémoire photographique, Falco pouvait arriver en retard sur le plateau, apprendre ses répliques, jouer la scène la plus éprouvante émotionnellement, puis retourner joyeusement à sa caravane pour rejoindre son fidèle compagnon, Marley, un doux labrador jaune.

Ce n’était pas le cas de Gandolfini, pour qui jouer Tony Soprano revenait toujours, d’une manière ou d’une autre, à être Tony Soprano. L’équipe de tournage s’était peu à peu habituée au son des grognements et des jurons émanant de sa caravane alors qu’il développait la tonalité affective d’une scène en démolissant, par exemple, un poste de radio. En acteur intelligent et intuitif, Gandolfini comprenait cette dynamique et l’utilisait, quand il le pouvait, à son avantage. Ainsi, le lourd peignoir de bain qui deviendrait l’attribut de Tony, le transformant en une sorte d’ours domestique, constituait une torture sous les spots en plein été, mais Gandolfini tenait à le porter entre les prises. En d’autres occasions, cependant, on ne pouvait distinguer la détresse feinte de la vraie, que ce fût sur le plateau ou en dehors. Fin 2002, dans des documents liés à leur procédure de divorce, l’épouse de Gandolfini mentionna de sérieux problèmes chroniques de drogue et d’alcool, auxquels s’ajoutaient des disputes au cours desquelles l’acteur se frappait le visage à plusieurs reprises sous le coup de la frustration. Pour quiconque avait assisté à la fureur que l’acteur dirigeait contre lui-même lorsqu’il peinait pour se rappeler ses répliques devant la caméra – il se réprimandait avec dégoût, pestait et se frappait le crâne –, c’était un comportement plausible.

Pour ne rien arranger, Gandolfini, d’un naturel timide, devint brusquement l’un des hommes les plus reconnaissables d’Amérique – surtout à New York et dans le New Jersey où la série était tournée et où la vue de cet homme parcourant les rues, son cigare au coin des lèvres, garantissait la confusion chez ceux déjà enclins à interpeller les acteurs par leurs noms de fiction. Contrairement à Falco, qui pouvait retirer les faux ongles de Carmela, enfiler une casquette de baseball et disparaître dans la foule, Gandolfini – un mètre quatre-vingt-cinq pour plus de cent vingt kilos – n’avait nulle part où se cacher.

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trad. Léa Cohen
25/09/2014 473 pages 24,00 €
Scannez le code barre 9782732465456
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