INTRODUCTION
L’ère napoléonienne qui ouvre la phase moderne de l’art militaire, celle de l’emploi des masses, sera longtemps encore la grande école de la guerre. Cette période de vingt années pleines de faits de guerre est une source inépuisable d’enseignements. C’est à Napoléon que les militaires devront sans cesse revenir, comme les peintres à Michel-Ange, à Raphaël, à Rembrandt, à Rubens, à Velázquez, comme les musiciens à Bach, à Mozart, à Beethoven.
HUBERT CAMON, La Guerre napoléonienne, 1907
Si les campagnes et les batailles de Napoléon inspirent tant d’admiration, et semblent aux militaires de véritables œuvres d’art, c’est à cause du tour original, extraordinaire, dû à l’effort d’imagination qui les a produites, et qui les distingue des opérations conduites régulièrement, dans la voie la plus naturelle pour les esprits ordinaires.
JEAN COLIN, Napoléon, 1914
Austerlitz fut la plus belle. Waterloo fut la plus dramatique. Wagram fut peut-être la plus grande. Comme l’envolée d’Alexandre, comme l’aventure d’Hannibal, comme la percée arabe de Mahomet et des siens, l’épopée napoléonienne enfanta une série de batailles parmi les plus marquantes de l’histoire. De ces multiples victoires, et défaites aussi, seules quelques-unes peuvent être considérées comme « décisives », d’un point de vue politique s’entend. Côté français, Austerlitz, Friedland et Wagram furent parmi les seules batailles qui poussèrent rapidement l’adversaire à une paix négociée. Paradoxe de la période napoléonienne, celui qui éleva la bataille dite « décisive » – dans sa dimension militaire – au rang de dogme stratégique fut finalement défait par une puissance qu’il n’affronta, avant Waterloo, qu’indirectement, l’Angleterre, par un peuple, l’espagnol, qui reprit avec vigueur le flambeau des armées régulières déchues, et par un pays, la Russie, dont la rudesse du climat et l’étendue géographique anéantirent le génie napoléonien, soit autant d’adversaires qui évitèrent de s’engager dans une bataille décisive contre Napoléon.
Comme pour chacune des grandes périodes de conquête de l’histoire, la bataille décisive constitue le point d’orgue d’une guerre perpétuelle dont l’objectif n’est autre que de réduire à néant la volonté de l’autre pour asseoir sa puissance sur un territoire dont les frontières sont sans cesse repoussées. La logique impériale, lorsqu’elle se combine avec le génie guerrier, a tendance à s’enfoncer progressivement dans l’irrationnel : la guerre devient une fin en soi, lorsqu’elle ne devait être au départ qu’un moyen. Ceci est vrai même lorsque le conquérant cherche, pour une raison ou une autre, à temporiser ou à consolider ses acquis. Car la logique impériale veut que, pour se maintenir, il faille sans cesse avancer. Et pour avancer, il faut constamment batailler. Combien de conquérants n’ont-ils pas dû vaincre la même armée deux fois, trois fois et plus encore ? Ainsi Tamerlan, qui conquiert la Géorgie à six reprises, réduisant à chaque passage le pays à feu et à sang avant que le peuple géorgien ne renaisse à chaque fois de ses cendres. Ainsi Napoléon qui, quatre ans à peine après le triomphe d’Austerlitz, affronte à nouveau le phénix autrichien.
Extraits
Commenter ce livre