#Roman francophone

Une femme en soi

Michel del Castillo

Une femme en soi. Le tournage d'Une femme en soi va-t-il enfin commencer ? Combien de mois d'écriture, de versions différentes du scénario, de repérages éprouvants et minutieux de Marseille à Barcelone avant de pouvoir dire " moteur ", " on est prêt... " ? Est-on jamais prêt ? Combien de films Jean-Pierre Barjac a-t-il réalisés avant d'oser entreprendre celui qui doit apporter un dernier éclairage, inédit, singulier sur son œuvre et sa vie pour toujours emmêlées ? Combien de mètres de pellicule, de plans, de séquences, de travellings déjà consacrés à la même silhouette, au même visage : ceux de sa propre mère, Serafina Perduch ? Combien d'interprétations possibles des mêmes scènes, d'intérieurs et d'extérieurs, de jours et de nuits ? Le spectateur retiendra l'éclat si particulier du rire de Fina (gros plan), la détresse de son fils qu'elle abandonne en pleine guerre (plan large), leurs retrouvailles de longues années plus tard (plan moyen), la toute première scène du film où Marc-Antoine guette au coin d'une rue le taxi qui va lui rendre sa mère. Quelle mère ? Quelle femme ? Une femme en soi qu'il ne faut surtout pas essayer de comprendre, de juger ou même de pardonner. Le public verra un film, une œuvre d'art. Les inconditionnels de Barjac ne seront pas dépaysés : Geneviève Dalisson reprend le rôle de Fina, Antoine Ledault celui de Marc-Antoine. Il s'agit toujours de projeter les mêmes ombres et les mêmes lumières, de dissiper la même peur et la même hantise. Les films de Jean-Pierre Barjac deviennent peu à peu le livre d'un écrivain qui semble les adapter pour mieux les adopter : tel est le nouveau roman de Michel del Castillo qui, après La Nuit du Décret, La Gloire de Dina et Le Démon de l'oubli nous offre le portrait définitif d'une femme, cette " femme en soi " qui a traversé la plus grande partie de son œuvre.

Par Michel del Castillo
Chez Seuil

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Editeur

Seuil

Genre

Littérature française

Pour
HUGUES-ALEXANDRE TARTAUT,
avec mon affectueuse amitié.

M.d.C.

La vie en soi, l’existence en soi, tout est lieu commun.

La première image l’aurait montré de loin, arpentant le trottoir d’une démarche saccadée. Il n’arrêterait pas de marcher entre les deux énormes portails accolés du 95 et du 97, aller et retour. Il tournerait sans cesse la tête, tantôt vers le rond-point de Longchamp — rebaptisé depuis place de Mexico —, tantôt vers la rue Gustave-Courbet et la rue de la Pompe, en contrebas. Le taxi ne pourrait en effet venir que de l’une des deux directions.

On aurait vu la rue, ses immeubles solennels, les enseignes des boutiques — le quartier ne deviendra commerçant qu’à la fin des années 60, après l’ouverture du premier magasin de prêt-à-porter pour jeunes bourgeois aisés, rue de la Pompe —, la carotte du café-tabac et la croix de la pharmacie, à l’angle de la place.

Le regard d’Antoine Ledault — Barjac voulait conserver le comédien-fétiche de tous ses films intimistes devenu, au fil des ans, son double —, ce regard fou scruterait la pente de la rue, vers le boulevard Lannes et le Bois.

On finirait par se rapprocher de Pablo Solano, nom du personnage.

« Mouvement très lent, imperceptible presque », murmurait Barjac dont les mains se rapprochaient comme pour rétrécir le cadre.

Ce début, Barjac le voulait simple et inquiétant, à l’instar de certains plans du meilleur Hitchcock où seule la présence de certains détails insolites produit l’inquiétude. Pour Barjac, ces indices auraient été le passage d’un ou deux taxis devant Pablo qui, chaque fois, ferait mine de se précipiter, puis se figerait, déçu, désespéré. On entendrait une musique de jazz, « un solo de clarinette peut-être » ?

« L’essentiel, disait Barjac, est de créer d’emblée une atmosphère d’attente anxieuse, maladive presque. Ce type a rendez-vous avec sa mémoire. Quelle femme sortira du taxi, après tant d’années passées à rêver d’elle, à imaginer ces retrouvailles ? Que vont-ils pouvoir se dire ?

« Non, pas de gros plan, surtout pas ! Il ne faut pas solliciter l’émotion. Des plans moyens, qui laissent au champ toute sa profondeur. On devinera le porche de l’immeuble, sa colonnade. Peut-être la loge du concierge sera-t-elle éclairée ? Il est huit heures du soir environ. Des passants descendent ou remontent le trottoir, jettent un coup d’œil vers ce type à l’allure bizarre. Un voisin entre, le salue d’un mouvement de la tête, semble étonné que Pablo ne lui retourne pas son bonsoir. Perdu dans son rêve, il ne remarque rien.

« C’est un film sur la folie amoureuse. Un film d’enquête, à la Rosi, sauf que les machinations politiques sont, dans notre cas, les ruses et les trahisons d’une femme, qui ont rendu Pablo dingue, vraiment dingue. Vu par lui, le décor dégagera une sensation d’étouffement. Tout devra paraître d’une familiarité étrange, comme quand on revient dans une maison qu’on a habitée dans l’enfance. On reconnaît le décor mais on bouge dans un espace rétréci, qui le rend méconnaissable.

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01/12/1991 391 pages 21,70 €
Scannez le code barre 9782020135238
9782020135238
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