#Roman francophone

La jeune fille à la perle

Tracy Chevalier

La jeune et ravissante Griet est engagée comme servante dans la maison du peintre Vermeer. Nous sommes à Delft, au dix-septième siècle, l'âge d'or de la peinture hollandaise. Griet s'occupe du ménage et des six enfants de Vermeer en s'efforçant d'amadouer l'épouse, la belle-mère et la gouvernante, chacune très jalouse de ses prérogatives. Au fil du temps, la douceur, la sensibilité et la vivacité de la jeune fille émeuvent le maître qui l'introduit dans son univers. A mesure que s'affirme leur intimité, le scandale se propage dans la ville... Un roman envoûtant sur la corruption de l'innocence, l'histoire d'un cœur simple sacrifié au bûcher du génie.

Par Tracy Chevalier
Chez Editions Gallimard

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Genre

Poches Littérature internation

 

 

 

1664

 

 

Ma mère ne m'avait pas dit qu'ils allaient venir : elle ne voulait pas que j'aie l'air inquiet, m'expliqua-t-elle plus tard. Cela m'étonna, moi qui croyais qu'elle me connaissait bien. Au regard des personnes étrangères, je paraissais calme. Enfant, je ne pleurais pas. Seule ma mère remarquait la façon dont je contractais la mâchoire et j'écarquillais des yeux déjà grands.

J'étais à la cuisine en train de hacher des légumes quand j'entendis des voix provenant de l'entrée, la voix d'une femme, aussi étincelante que cuivre bien astiqué, et celle d'un homme, aussi dense et sombre que le bois de la table sur laquelle je travaillais. C'était là des voix comme nous n'en entendions pas souvent chez nous. Des voix rappelant de somptueux tapis, des livres, des perles, des fourrures.

Heureusement que je m'étais donné tant de mal pour nettoyer l'entrée !

La voix de ma mère – une marmite, une bonbonne – se rapprochait de moi. Ils se rendaient à la cuisine. Je rangeai les poireaux que j'étais en train de couper, posai le couteau sur la table, m'essuyai les mains à mon tablier et pinçai mes lèvres pour les lisser.

Ma mère apparut à l'entrée, elle me décocha du regard une double mise en garde. La femme derrière elle dut rentrer la tête à cause de sa taille, elle était plus grande que l'homme qui la suivait.

Dans ma famille, tout le monde était petit, y compris mon père et mon frère.

Bien que la journée fût calme, on eût dit que la femme avait été prise dans une bourrasque. De sa coiffe de guingois s'échappaient de minuscules boucles blondes qui s'agitaient sur son front telles des abeilles ; elle les chassa plusieurs fois avec impatience. Son col aurait eu besoin d'être redressé, il n'était pas aussi raide qu'il aurait pu l'être. Elle repoussa sa cape grise sur ses épaules et je vis que sous sa robe bleu foncé un bébé s'annonçait. Il arriverait d'ici la fin de l'année.

Le visage de la femme rappelait un plat d'argent ovale, tantôt étincelant, tantôt terne. Ses yeux étaient deux boutons brun clair, teinte que j'avais rarement vue associée à des cheveux blonds. Elle faisait mine de m'examiner sans parvenir à concentrer son attention, son regard voletant par toute la pièce.

« C'est donc la fille, dit-elle d'un ton abrupt.

– C'est Griet, ma fille », répondit ma mère. Je saluai respectueusement l'homme et la femme.

« Disons qu'elle n'est pas bien grande, est-elle assez forte ? » Au moment où la femme se tournait vers l'homme, un pan de sa cape entraîna le couteau dont je venais de me servir, il alla tournoyer sur le sol.

La femme poussa un cri.

« Catharina », dit l'homme avec calme. Il prononça son nom comme s'il avait un morceau d'écorce de cannelle dans la bouche. La femme s'arrêta, faisant effort pour se dominer.

Je m'approchai, ramassai le couteau, frottai la lame avant de le poser sur la table. Dans sa chute, le couteau avait déplacé les légumes, je remis en place un morceau de carotte.

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trad. Marie-Odile Fortier-Masek
05/03/2002 313 pages 8,70 €
Scannez le code barre 9782070417940
9782070417940
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