#Roman francophone

Tout là-bas avec Capolino

Jean-Marc Lovay

Espérant que mes yeux n'étaient pas devenus des fenêtres qui seraient bientôt ouvertes d'un coup par un brutal préposé à leur ouverture, je pouvais entendre encore plus que sentir le cliquetis des os des minuscules doigts qui picotaient et tapotaient mes joues dans la même cadence que celle de la machine qui avait un jour pris les mesures de ma tête millimètre par millimètre, en déversant avec une trompe baladeuse jusqu'au fond de mes oreilles une musique champêtre avec la certitude d'apaiser mon esprit déjà lointain et de le transporter loin du monde de l'autonomie des machines, tout en croyant lui permettre de se croire encore fraternellement et naturellement proche de la machine autonome dont une voix qui aurait pu être la voix de l'épouse d'un morceau d'aluminium nommait chaque centimètre carré de mon crâne avec des noms de fleurs des champs.

Par Jean-Marc Lovay
Chez Editions Zoé

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Genre

Littérature française

C’était encore un jour où soudain je reconnaissais le visage souriant au fond de l’image qui avec la mélancolie d’un vieux portrait cloué contre un mur vibrait à la surface d’une anse protégée par un coude du ruisseau, et en chantant les grillons ne se troublaient pas d’avoir déjà oublié le nouveau chant qui ne serait jamais entendu, quand j’entendais le rire chanteur qui montait de derrière ce visage en craquant pour traverser une paroi d’os et se moquer de mon regard encore vivant, et railler les yeux éperdus de voir toute ma vie hésitant à se jeter dans le puits d’une image pour y entraîner mon esprit, parce que je croyais qu’un visage ne vivait déjà plus et ne serait pas mort tant que n’au­ rait pas fini de se vider le puits au fond duquel se reflétait n’importe quel visage, et tant que ce puits ne serait pas frémissant de la fraîcheur d’un visage enfin vide de toute heureuse et malheureuse expression.

Et alors je pouvais penser que je n’étais jamais descendu en bas vers le visage souriant et riant dont les yeux regardaient en haut pour voir encore plus haut, et c’était désormais pour toujours que le visage remontait à la surface en perdant le rire menteur et le faux sourire, avant de faire sortir le commencement d’un pleur de toute la matière qui était le monde où je pouvais encore survivre, en même temps que le souvenir d’un visage commençait à être chanté par un groupe de grillons ignorant qu’ils chantaient le souvenir de l’unique visage qui se déformait pour épouser une des formes du véritable visage de Capolino revenu vers moi pour me demander de repartir avec lui au loin de nos lointains de toujours, et qui me demandait de le regarder encore comme certains jours merveilleux je l’avais regardé en traversant la couleur de ses yeux tout en lui laissant entrevoir la confuse vision de ce qui bientôt s’illuminerait au-delà des horizons ultimes de son âme, et d’essayer d’arriver très vite et peut-être d’un seul coup à emmener dans l’innocent mouvement dont il devinait que ma conscience essayait de le suivre, tout ce qu’il ne pouvait pas lui-même percevoir et qu’il ne pourrait peut-être plus jamais concevoir au-delà de ce cul-de-sac de l’extrême arrière du fond de sa propre conscience, avant d’accepter de m’en aller en marchant devant mais aussi en courant derrière lui là-bas où ni moi ni lui et encore moins personne ne pourrait imaginer si ce serait pour revivre une vie en ayant oublié qu’elle avait déjà été vécue et surtout ne pas revivre toujours la même vie, ou pour vivre et disparaître encore dans l’esprit de l’immortelle créature qui depuis notre renaissance commune aspirerait à mourir pour connaître notre plaisir de renaître.

 

 

*

 

 

Et maintenant le ton d’un chant de grillon qui avait passé derrière le chant d’un autre grillon m’incitait à regarder le ventre du nuage qui grandissait sous la terre au-dessous du chemin et je savais qu’il n’y avait pas de plus belle terre sur un plus beau chemin, et en pensant à celui qui était entré dans mon cœur en même temps qu’il s’était à jamais éloigné de moi-même, j’ignorais s’il était le seul à pouvoir penser que le ventru nuage n’était pas une idée ayant été invitée ou s’étant glissée dans la forme d’un nuage, mais représentait tout ce qui n’était pas encore né et qui peut-être naîtrait bientôt dans la fin d’un jour du temps qui tournoyait en avant et en arrière autour de l’esprit de ce petit grand frère, oui, de ce grand petit frère qui vivrait en Capolino tant que lui et moi ne serions pas multipliés par nos innombrables concentrations de regards fatigués de surprendre les passages des savantes âmes boueuses sous la peau de la terre, alors que nous rêvions de contempler la naissance souterraine d’une innocente âme nuageuse.

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03/09/2009 156 pages 16,00 €
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