#Roman francophone

City

Alessandro Baricco

D'abord le titre. Une ville. Pas une ville précise. Plutôt l'empreinte d'une ville quelconque. Son squelette. Je pensais aux histoires que j'avais dans la tête comme à des quartiers. Et j'imaginais des personnages qui étaient des rues, et qui certaines fois commençaient et mouraient dans un quartier, d'autres fois traversaient la ville entière, accumulant des quartiers et des mondes qui n'avaient rien à voir les uns avec les autres et qui pourtant étaient la même ville. Je voulais écrire un livre qui bouge comme quelqu'un qui se perd dans une ville. Des personnages - des rues - il y en a beaucoup : il y a un coiffeur qui le jeudi coupe les cheveux gratis, il y en a un qui est un géant, un autre qui est muet. Il y a un petit garçon qui s'appelle Gould, et une fille qui s'appelle Shatzy Shell (rien à voir avec celui de l'essence). Il y a aussi dans City deux quartiers, assez vastes, un peu décalés en arrière dans le temps. Il y a une histoire de boxe, et il y a un western. Le western, c'est quelque chose à quoi je pensais depuis des années. J'étais toujours là à essayer de m'imaginer comment diable on pouvait bien faire pour écrire la fusillade finale. Quant à la boxe, là c'est un monde dingue, superbe. Si en plus tu es quelqu'un qui écrit, tôt ou tard tu y viens. Mieux vaut tôt, me suis-je dit. A. B.

Par Alessandro Baricco
Chez Editions Gallimard

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Genre

Poches Littérature internation

 

 

 

 

Prologue

 

 

– Alors, monsieur Klauser, est-ce que Mami Jane doit mourir ?

– Qu'ils aillent se faire foutre.

– C'est oui ou c'est non ?

– Et à votre avis ?

En octobre 1987, la CRB – éditrice depuis vingt-deux ans des aventures du légendaire Ballon Mac – décida de lancer un référendum parmi ses lecteurs pour déterminer s'il fallait faire mourir Mami Jane. Ballon Mac était un super-héros aveugle qui le jour était dentiste et la nuit combattait le Mal grâce aux pouvoirs très particuliers de sa salive. Mami Jane était sa mère. Les lecteurs lui étaient, en général, très attachés : elle collectionnait les vieux scalps indiens et se produisait le soir comme bassiste dans un groupe de blues entièrement constitué de Noirs. Elle-même était blanche. L'idée de s'en débarrasser était venue au directeur commercial de la CRB – un monsieur très tranquille qui n'avait qu'une passion : les trains électriques. Il soutenait que Ballon Mac était maintenant sur une voie de garage et avait besoin de nouvelles motivations. La mort de sa mère – renversée par un train alors qu'elle s'enfuyait, poursuivie par un cambiste paranoïaque – le transformerait en un cocktail létal de rage et de souffrance, soit le portrait craché de son lecteur moyen. L'idée était stupide. Mais le lecteur moyen de Ballon Mac aussi était stupide.

Ainsi, en octobre 1987, la CRB débarrassa une pièce au second étage et y installa huit demoiselles chargées de répondre au téléphone et de recueillir les opinions des lecteurs. La question était : Mami Jane doit-elle mourir ?

Des huit demoiselles, quatre étaient des employées de la CRB, deux avaient été envoyées par les services sociaux, une était la nièce du président-directeur général. La dernière, une fille dans les trente ans qui venait de Pomona, était là grâce à un contrat de stagiaire remporté dans un jeu radiophonique. (« Qu'est-ce que Ballon Mac déteste le plus au monde ? – Faire les détartrages. ») Elle se promenait partout avec un petit magnétophone. De temps en temps elle l'allumait et elle disait des choses dedans.

Elle s'appelait Shatzy Shell.

À dix heures quarante-cinq le douzième jour du référendum – quand la mort de Mami Jane l'emportait à 64 % contre 30, les 6 % restants voulant les envoyer tous se faire foutre et ayant téléphoné pour le dire –, Shatzy Shell entendit le téléphone sonner pour la vingt et unième fois, écrivit sur la feuille de contrôle qu'elle avait devant elle le chiffre 21 et décrocha le combiné. Il en résulta la conversation suivante :

– CRB, bonjour.

– Bonjour, est-ce que Diesel est arrivé ?

– Qui ?

– Okay, il n'est pas encore arrivé...

– Ici c'est la CRB, monsieur.

– Oui, je sais.

– Vous avez dû vous tromper de numéro.

– Non, non, c'est bien ça, écoutez-moi maintenant...

– Monsieur...

– Oui ?

– Vous êtes à la CRB, c'est le référendum « Mami Jane doit-elle mourir ? ».

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02/10/2001 486 pages 9,40 €
Scannez le code barre 9782070419579
9782070419579
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