#Roman francophone

BM Blues [EDITION EN GROS CARACTERES

Françoise Bourdin

Pour Thèves, sa BMW est un caprice, un jouet hors de prix qu'il a failli casser et ne peut plus conduire. Pour Hugo, c'est un moyen d'exorciser le drame de l'accident qui a coûté la vie à sa soeur. Tout oppose les deux hommes, et pourtant, ils ont besoin l'un de l'autre. Le jeune Hugo devient donc le chauffeur de Thève, l'entrepreneur parvenu. Mais leur collaboration malaisée pourrait bien révéler leurs failles... Lancé à grande vitesse sur les routes verglacées, le roman époustouflant d'un retour à la vie.

Par Françoise Bourdin
Chez Editions Feryane

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Genre

Littérature française

1


Hugo ouvre les yeux et sa conscience émerge avec peine du trou noir où elle s'était engloutie. Il bouge ses jambes, dans un réflexe de survie qui le pousse à fuir.
L'image nette du camion – avec sa rampe de phares au-dessus de la cabine – se superpose à la réalité de ce qui l'entoure. Il gémit de terreur, roule sur le côté et tente de se relever.
En rafale, les visions de cauchemar l'assaillent. La route luisante de pluie, avec la calandre du trente tonnes venant à sa rencontre. Les bruits éclatent ensemble, stridents et confondus : freins qui hurlent d'impuissance, Klaxons bloqués, vitres brisées, tôles déchirées.
Hugo est retombé à plat ventre, le visage dans la boue. Il respire avec difficulté. Il sait que les sons n'existent plus que dans sa mémoire, que l'accident est terminé et qu'il est vivant. Il prend appui sur ses mains et sur ses genoux pour se soulever, dans le sursaut d'une nausée. Il vomit sans douleur, la tête pendant entre les bras. Il n'a aucune force pour lutter contre le vertige qui le plaque au sol. Il subit une interminable sensation d'évanouissement. Happé par une nouvelle syncope, il met plusieurs secondes à surmonter sa défaillance. Quelque chose d'obsédant rampe à l'intérieur de lui-même, affleure, puis se fraie un passage jusqu'à devenir compréhensible.
— Isabelle !
Hugo voulait crier mais il n'a que balbutié. Ce murmure heurte pourtant son esprit avec violence et lui rend sa lucidité. Il se traîne jusqu'au bord du talus et découvre la Porsche en contrebas, déjà attaquée par les flammes. Il accomplit un effort considérable pour se lever, persuadé qu'il n'y parviendra jamais.
En état de choc, il ne ressent qu'un total épuisement qui ralentit tous ses gestes. Il enregistre d'un coup que l'épave brûle et qu'une silhouette gesticule au milieu du brasier. Il se met à courir sans l'avoir décidé, mais il ne franchit que quelques mètres avant de tomber. Des mains se sont accrochées à ses jambes. Il se débat, obnubilé par l'urgence, tendu vers Isabelle qui reste prisonnière de l'enfer.
Les bras qui le retiennent se sont serrés autour de lui, des doigts s'enfoncent dans ses cuisses.
— Ne bouge pas, chuchote la voix rauque et sifflante de son père contre son oreille. Tu ne peux rien pour elle, la voiture va exploser.
Hugo se redresse sur un coude et balance son poing, au jugé. Le coup rend un bruit sourd mais l'étreinte de Charles ne s'est pas relâchée.
— C'est ta fille ! hurle Hugo qui se dégage et se relève.
Il fait deux pas, reçoit un choc sur les épaules et se retrouve à terre, suffoquant sous le poids de son père. Il lutte en silence, avec une énergie soudaine qui tourne aussitôt à la violence meurtrière. Les secondes qu'il perd le rendent fou. Il réussit à faire basculer Charles, qui s'accroche à lui et qu'il traîne.
Le bruit, la lumière, le souffle de l'explosion les immobilisent net. La carcasse de la Porsche a volé en éclats.

Hugo parvint à résister jusqu'à l'enterrement d'Isabelle. Enterrement, c'était beaucoup dire, car il se demanda ce qu'on avait bien pu mettre dans le cercueil de sa sœur.
Il résista donc, muré dans un silence hostile dont personne ne sut le tirer. Charles raconta ce qu'il voulut. Il s'en tint d'ailleurs à la vérité. La sienne ! Isabelle était morte mais il avait sauvé Hugo. C'est ce qu'il croyait et ce fut ce qu'il dit.
Il n'expliqua pas pourquoi il avait tenu à conduire mais il précisa qu'il était au volant, son fils à côté de lui et sa fille à l'arrière. Il soutint que le camion avait foncé sur eux. De toute façon il n'avait pas subi d'alcootest. Oubli ou passe-droit de gendarmes complaisants ?
Hugo savait que son père avait bu, ce soir-là. Pas assez pour être ivre, peut-être, mais suffisamment pour vouloir piloter le bolide. Après tout c'est lui qui l'avait payée, cette Porsche de malheur. Comme c'est lui qui, depuis quatre ans, flattait le penchant d'Hugo pour les voitures.
Des mois et des mois de cours sur circuit, avec des professionnels. Mon fils est un vrai champion. Les rallyes et les copains d'Hugo. Des soirées où Charles était comme un poisson dans l'eau. Et le suprême cadeau, cet engin de mort devant lequel Hugo avait fondu de reconnaissance et de bonheur.
Huit cylindres et trente-deux soupapes, trois cent trente chevaux. Isabelle battait des mains. Dieu, qu'elle admirait son frère ! Elle était trop jeune pour savoir que Charles achetait Hugo avec ce cadeau empoisonné. Et que le frère adoré se laissait acheter. Donnant, donnant. Tu reprends mon affaire et je t'offre tes chimères. Les études, c'est pour amuser la galerie, pour flatter ta mère. L'argent, je sais comment on le fabrique. Je te passerai le flambeau, on ne peut pas le laisser s'éteindre, Hugo ! Industriels de père en fils, les usines Chaley sont prospères, tu seras peut-être broyé par le système mais j'ai trouvé ta compensation. La course automobile, ça te dirait ? En attendant que je te cède ma place…
Hugo savait sans savoir, acceptait sans comprendre. « Rien ne résiste à ton père », disait sa mère avec un sourire attendri. Rien ni personne et Hugo non plus, par facilité.
Mais l'inconscience d'Hugo, sa joie de vivre et sa naïveté, sa légèreté de jeune homme heureux, son faux bonheur d'enfant gâté : il vient de les perdre au bord d'un talus, le long d'une route mouillée, une nuit de novembre. Isabelle a tout emporté, tout dévasté. Hugo est aussi mort qu'elle. La seule chose qui parvienne à pousser dans le désert qui l'entoure aujourd'hui, c'est la haine de son père. Pour ne pas être asphyxié, il faut qu'il s'en aille.

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01/05/2013 280 pages 19,50 €
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