Editeur
Genre
Littérature française
BÉCON
Parfaitement contemporain de Lucky Luke et de la 4 CV Renault, dont les premiers exemplaires sortaient juste de l’île Seguin, je suis né à Bécon-les-Bruyères, le 29 décembre 1946. Comme on ne choisit pas son chou ni l’adresse où vous déposera la cigogne, je devais considérer ce divin hasard comme un don du ciel. Bécon-les-Bruyères, peut-on rêver mieux, à part Pétaouchnoque, Trifouillis-lès-Oies ou Saint- Julien-Molin-Molette ?
À la manière des cartographes chrétiens du Moyen Âge qui mettaient Jérusalem, Rome, Cluny, Saint-Sever et Constanti- nople au centre d’un univers réduit à quelques terræ cognitæ, un gamin, imbécile heureux d’être né quelque part, considère toujours le lieu de sa naissance comme le ventre d’un monde dont il serait le nombril. Si ce tropisme de la commune, du quartier, de la niche, est resté particulièrement vif en moi, c’est que, ma mère s’entêtant à accoucher chez elle, non content de voir le jour à Bécon, j’ai pris racine au rez-de-chaussée du no 18 de la rue Balzac, dans un deux-pièces-cuisine, à l’endroit précis où j’allais vivre vingt ans de mon existence.
Grâce à la sage-femme qui avait déjà mis au monde mes trois sœurs ¢ Colette en 1935, et les jumelles Cécile et Claudine en 1939 -, le baby-boomer était, à peine débarqué, déjà installé. J’avais du temps devant moi pour faire l’état des lieux.
Bécon-les-Bruyères. Une gare de triage pour voyageurs, un lieu-dit, un hameau urbain, une fausse commune à cheval sur trois vraies : Asnières, Courbevoie et, beaucoup plus margi- nalement, Bois-Colombes. Les frontières et les zones d’influence de ce territoire quasiment onirique relèvent du pifomètre et de l’arbitraire. Afin de ne pas froisser les suscep- tibilités des autochtones, un certain flou diplomatico- topographique semble s’imposer. Bécon devant être consi- déré comme un pur microcosme. Dont la rue Balzac, épicentre d’une minuscule comédie humaine, pourrait, par postulat égotiste, être le cœur et dont Paris a le privilège d’être la proche banlieue.
« Paris-Saint-Lazare à 7 km, avec la Sabena vous y seriez déjà », entre les gares d’Asnières et de Levallois, juste avant de franchir la Seine sur ce pont de chemin de fer qu’aurait pu immortaliser Monet (il préféra celui d’Argenteuil), une grande publicité peinte sur la façade aveugle d’un immeuble pas borgne - entre une réclame pour le cirage Lion noir et une autre pour la brillantine Forvil - était censée accrocher le regard, chassieux le matin, éteint le soir, des banlieusards partant au turbin ou en revenant. Provocant par son caractère utopique, ce message donnait toutefois à rêver. L’Amérique, de Tintin ou de Rintintin, l’azur inviolé, les hôtesses de l’air en tailleur bleu et foulard Hermès, les super-constellations s’élançant du Bourget dans un vrombissement d’hélices, le monde des riches ou des globe-trotters.
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