#Polar

Ceux qui restent

Jane Casey

Deux adolescents disparaissent à seize ans d'intervalle sous les yeux d'un seul et même témoin. Sarah n'était qu'une enfant quand son frère Charlie a disparu ; elle est la dernière è l'avoir vu. Seize ans plus tard, dans la même ville, le cauchemar de son enfance resurgit : Sarah découvre le corps d'une de ses élèves dans les bois. Alors que les policiers tentent de trouver l'assassin, elle décide de rouvrir en parallèle l'enquête sur la disparition de son frère. Les deux affaires sont-elles liées ? Sarah est-elle en danger ? Le premier roman publié en France d'une nouvelle voix du thriller anglais.

Par Jane Casey
Chez Presses de la Cité

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Genre

Policiers

Je me souviens très bien de certains moments. D'autres sont plus flous. Au fil des années, j'ai tellement cherché à remplir les trous que je mélange un peu les détails authentiques et ceux que j'ai inventés. Mais c'est ainsi que tout a commencé, du moins je le pense.
Voilà ce qui s'est passé selon moi. C'est le mieux que je puisse faire.

 

 

1992

 

À plat ventre sur un plaid dans le jardin, je fais semblant de lire. C'est le milieu de l'après-midi et le soleil chauffe mon crâne, mon dos, brûle la plante de mes pieds. Il n'y a pas classe aujourd'hui, les enseignants sont en formation, et voilà des heures que je suis dehors. Le plaid rêche est couvert de brins d'herbe que j'ai arrachés à la pelouse ; ils chatouillent ma peau nue. J'ai la tête lourde, les yeux qui se ferment tout seuls. Les mots sur la page défilent comme des fourmis en dépit de mes efforts pour les forcer à rester en place sur leurs lignes, alors je capitule, j'écarte mon livre et enfouis la tête entre mes bras.
L'herbe desséchée, brunie par des semaines de canicule, craque sous la couverture. Des abeilles bourdonnent dans les roses d'été. Non loin, une tondeuse vrombit. La radio, allumée, laisse échapper une voix féminine, qui s'élève et baisse selon des inflexions mesurées, interrompue de temps à autre par des explosions musicales. Les mots, indistincts, se fondent les uns aux autres. Paf-pof-pof : le rythme régulier de mon frère qui joue au tennis contre le mur de la maison. Raquette, mur, sol. Paf-pof-pof. Je lui ai déjà demandé si je pouvais faire une partie avec lui. Il préfère jouer seul ; c'est comme ça lorsqu'on a quatre ans de moins et que l'on est une fille, de surcroît.
Entre mes bras, j'aperçois une coccinelle qui grimpe sur un brin d'herbe. J'aime bien les coccinelles ; je les ai étudiées pour un exposé à l'école. Je tends le doigt dans l'espoir qu'elle vienne s'y promener, mais elle déploie ses ailes et s'envole. Quelque chose me chatouille le mollet, une grosse mouche noire ; une vraie invasion, cette année : tout l'après-midi j'en ai senti se poser sur moi. J'enfonce un peu plus ma tête au creux de mes bras et ferme les yeux. Le plaid sent la laine chaude et la douceur des jours d'été. Le soleil cogne, les abeilles fredonnent une berceuse.
Quelques minutes, quelques heures plus tard, j'entends des pas, des pieds foulent l'herbe sèche et cassante. Charlie.
— Dis à maman que je reviens.
Les pieds s'éloignent.
Je ne lève pas la tête. Je ne lui demande pas où il va. Je suis plus assoupie qu'éveillée. Peut-être même déjà en train de rêver.
Lorsque j'ouvre les yeux, je comprends qu'il s'est passé quelque chose, sans savoir quoi. J'ignore combien de temps j'ai dormi. Le soleil est encore haut dans le ciel, la tondeuse à gazon ronronne toujours, la radio bourdonne, mais il manque quelque chose. Il me faut un instant pour me rendre compte que la balle ne rebondit plus. La raquette est à terre, mon frère a disparu.

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trad. Cécile Leclère
13/09/2012 458 pages 22,00 €
Scannez le code barre 9782258086890
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