#Roman francophone

Lettre à une jeune fille qui voudrait partir en Chine

Jacques Pimpaneau

Je vous fais l'honneur de croire que vous n'allez pas en Chine comme ces touristes, troupeaux indécents traînés dans des campagnes napoléoniennes, de Hilton en musées... Intéressez-vous à la Chine, ce n'est pas moi qui vous dirai le contraire, mais rappelez-vous que si cette culture est fascinante, c'est pour la sagesse qu'elle a élaborée. Ses penseurs savaient qu'une anecdote est plus probante que la logique close d'un discours et je souhaite que les histoires que je vais vous rapporter vous aident à vous servir de votre intelligence pour mieux vivre... Pour apprendre le chinois classique, je vous suggère de commencer par ces poèmes datant de la dynastie Tang, que tous les Chinois connaissent par cœur. Ainsi, quand vous irez dans le monde, au lieu de réciter après dîner Le Songe d'Athalie ou Booz endormi, vous pourrez éblouir votre auditoire avec un poème chinois. Si cela ne leur fait pas peur, les jeunes gens devraient alors tomber à vos genoux.

Par Jacques Pimpaneau
Chez Editions Philippe Picquier

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Genre

Littérature française (poches)

 

 

 

 

Chère Mademoiselle,

 

Si vous voulez vraiment aller en Chine, le moyen le meilleur marché est de prendre le train à la gare de l’Est1 pour Berlin-Ouest. Il y a un train qui part à 16 h 44 et un autre à 23 h 12, quotidiennement, si mes renseignements sont justes.

De là, vous vous rendez par le métro à Berlin-Est, où vous achetez un billet pour Pékin. Ainsi vous profitez du tarif intérieur aux pays socialistes. Vous pourrez vous arrêter un jour à Varsovie, histoire de goûter à leur alcool, que vous trouverez aussi bien à Paris ; si vous en buvez assez, vous serez complètement ivre, vous louperez le train, mais pourquoi pas. A Moscou, il faut changer de gare et le visa de transit vous laisse le loisir d’un arrêt de deux jours. Je vous signale la maison de Maïakovski, transformée en musée. J’y ai beaucoup aimé le collage qui illustre un poème où le poète se voit en balayeur dans un zoo, car alors la femme qu’il aime, en venant voir les animaux, peut-être lui jettera un regard.

Ensuite c’est le Transsibérien : de l’herbe, des pins, des bouleaux pendant six jours au moins, version sibérienne de métro, boulot, dodo. On longe le lac Baïkal pendant quelques heures : il y a de l’eau d’un côté de la voie ferrée. Dans les pays socialistes, il n’y a pas de classe, mais des places molles et des places dures. Prenez une place en dur, c’est moins cher ; laissez le matelas sur la banquette pendant la journée et vous aurez l’illusion d’être en mou. Un masque à gaz serait utile pour aller aux toilettes. Au wagon-restaurant, il y a vodka et caviar les premiers jours. Ensuite il ne reste que du bortsch, ce qui a l’avantage de vous en dégoûter pour le restant de vos jours.

Evidemment quand on prend le train, il ne faut pas se tromper de voie (pas seulement dans les voyages en train), car au lieu d’arriver à Pékin, vous risqueriez de vous retrouver à Venise, ce qui ne serait pas désagréable. Un Chinois voulait se rendre au royaume de Chu et se dirigeait vers le nord. Des passant lui dirent : « Vous faites fausse route, le royaume de Chu est situé au sud. — Aucune importance, rétorqua le voyageur, car j’ai de très bons chevaux et un excellent conducteur de char. »

Ou comme l’a écrit un bonze chan (zen en japonais) :

Qu’une route y conduise et toute route est bonne,

A quoi bon distinguer les quatre directions !

La brise ne s’occupe des rustres distinctions,

Partout sont aussi rouges les pêchers qui fleurissent.

Si vous préférez l’avion, peut-être aurez-vous un voisin séduisant et entreprenant qui relèvera l’accoudoir entre vous deux, et étendra la couverture sur vous. L’hôtesse de l’air et les insomniaques tout autour s’apercevront que vous êtes en train de faire l’amour, mais, rassurez-vous, ils seront bien plus gênés que vous. Ce ne sont pas des amants de passage dont il faut se méfier, mais des amis :

Le philosophe Mo Zi, en se promenant, vit par hasard quelqu’un qui était en train de teindre de la soie. Les écheveaux de soie blanche, après avoir été laissés un moment dans une jarre de teinture verte, ressortaient comme de la soie verte ; et ceux qui étaient plongés dans la teinture jaune devenaient de la soie jaune. « De la soie blanche, soupira le philosophe, au contact d’une teinture quelconque, adopte entièrement sa couleur. L’homme est également ainsi : au contact de gens bons, il se conduit en homme bon, et s’il est avec des gens mauvais, il est difficile de garantir qu’il ne deviendra pas mauvais à leur exemple. Dans ces conditions, comment peut-on ne pas choisir ses compagnons avec grand soin ! »

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17/03/2004 137 pages 6,10 €
Scannez le code barre 9782877307116
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