Editeur
Genre
Littérature française (poches)
Chère Mademoiselle,
Si vous voulez vraiment aller en Chine, le moyen le meilleur marché est de prendre le train à la gare de l’Est1 pour Berlin-Ouest. Il y a un train qui part à 16 h 44 et un autre à 23 h 12, quotidiennement, si mes renseignements sont justes.
De là, vous vous rendez par le métro à Berlin-Est, où vous achetez un billet pour Pékin. Ainsi vous profitez du tarif intérieur aux pays socialistes. Vous pourrez vous arrêter un jour à Varsovie, histoire de goûter à leur alcool, que vous trouverez aussi bien à Paris ; si vous en buvez assez, vous serez complètement ivre, vous louperez le train, mais pourquoi pas. A Moscou, il faut changer de gare et le visa de transit vous laisse le loisir d’un arrêt de deux jours. Je vous signale la maison de Maïakovski, transformée en musée. J’y ai beaucoup aimé le collage qui illustre un poème où le poète se voit en balayeur dans un zoo, car alors la femme qu’il aime, en venant voir les animaux, peut-être lui jettera un regard.
Ensuite c’est le Transsibérien : de l’herbe, des pins, des bouleaux pendant six jours au moins, version sibérienne de métro, boulot, dodo. On longe le lac Baïkal pendant quelques heures : il y a de l’eau d’un côté de la voie ferrée. Dans les pays socialistes, il n’y a pas de classe, mais des places molles et des places dures. Prenez une place en dur, c’est moins cher ; laissez le matelas sur la banquette pendant la journée et vous aurez l’illusion d’être en mou. Un masque à gaz serait utile pour aller aux toilettes. Au wagon-restaurant, il y a vodka et caviar les premiers jours. Ensuite il ne reste que du bortsch, ce qui a l’avantage de vous en dégoûter pour le restant de vos jours.
Evidemment quand on prend le train, il ne faut pas se tromper de voie (pas seulement dans les voyages en train), car au lieu d’arriver à Pékin, vous risqueriez de vous retrouver à Venise, ce qui ne serait pas désagréable. Un Chinois voulait se rendre au royaume de Chu et se dirigeait vers le nord. Des passant lui dirent : « Vous faites fausse route, le royaume de Chu est situé au sud. — Aucune importance, rétorqua le voyageur, car j’ai de très bons chevaux et un excellent conducteur de char. »
Ou comme l’a écrit un bonze chan (zen en japonais) :
Qu’une route y conduise et toute route est bonne,
A quoi bon distinguer les quatre directions !
La brise ne s’occupe des rustres distinctions,
Partout sont aussi rouges les pêchers qui fleurissent.
Si vous préférez l’avion, peut-être aurez-vous un voisin séduisant et entreprenant qui relèvera l’accoudoir entre vous deux, et étendra la couverture sur vous. L’hôtesse de l’air et les insomniaques tout autour s’apercevront que vous êtes en train de faire l’amour, mais, rassurez-vous, ils seront bien plus gênés que vous. Ce ne sont pas des amants de passage dont il faut se méfier, mais des amis :
Le philosophe Mo Zi, en se promenant, vit par hasard quelqu’un qui était en train de teindre de la soie. Les écheveaux de soie blanche, après avoir été laissés un moment dans une jarre de teinture verte, ressortaient comme de la soie verte ; et ceux qui étaient plongés dans la teinture jaune devenaient de la soie jaune. « De la soie blanche, soupira le philosophe, au contact d’une teinture quelconque, adopte entièrement sa couleur. L’homme est également ainsi : au contact de gens bons, il se conduit en homme bon, et s’il est avec des gens mauvais, il est difficile de garantir qu’il ne deviendra pas mauvais à leur exemple. Dans ces conditions, comment peut-on ne pas choisir ses compagnons avec grand soin ! »
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