PRÉFACE A L'ÉDITION « TEL »
Douze ans après sa parution en français, huit ans après la publication d'une traduction anglaise qui a élargi la discussion à tous les spécialistes du domaine, la réédition de cet ouvrage dans la collection « Tel » fournit l'occasion d'une mise au point. Le corps du livre demeure inchangé, pour des raisons de fond aussi bien que de technique de reproduction. La matière nouvelle est concentrée d'une part ici même, de l'autre dans une postface qui prolongera le livre non plus par rapport à l'Inde mais quant à la théorie de la hiérarchie en général. On a repris le sous-titre original.
Ici, il s'agit en principe de tirer la leçon, à l'usage du lecteur de langue française, de la discussion fort étendue dont le livre, H.H. comme je dirai pour abréger, a fait l'objet, et du développement subséquent de la recherche. Le lecteur non spécialiste a pu trouver étrange ou même choquant tel point de vue, telle proposition émis dans l'ouvrage. Qu'en pensent les confrères de l'auteur : s'agit-il d'un résultat scientifique ou d'une élucubration gratuite ? Où en sommes-nous aujourd'hui ?
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On va voir que la tâche n'est pas aisée. Pour commencer, l'accueil qu'a reçu H.H. est fort complexe. Favorable mais limité sur le versant de l'indologie classique, il a été très développé et très contradictoire sur le versant de l'anthropologie sociale, et presque inexistant du côté de la sociologie stricto sensu, où aucune des grandes revues anglo-saxonnes ne lui a consacré de notice1. Globalement, on pourrait aussi distinguer les réactions de langue française, plus favorables, et les anglo-saxonnes, plus volontiers hostiles, mais il serait difficile de caractériser en bloc les réactions indiennes.
En somme, la discussion s'est largement cantonnée, comme il était assez naturel, à l'anthropologie sociale. C'est d'elle que nous nous occuperons dans ce qui suit, et ce faisant nous porterons notre attention presque exclusivement sur les désaccords, les objections, les jugements négatifs. Cela pourrait donner l'impression que H.H. n'a rencontré que désapprobation. Tel n'est pas le cas. Il faut donc tout d'abord caractériser en gros la réception du livre. Il y a eu des jugements favorables. Je citerai deux accueils exemplaires
J.H. Hutton, administrateur britannique de l'Inde (de l'Indian Civil Service) devenu anthropologue, fameux pour ses descriptions des Nagas de l'Assam et finalement professeur à Cambridge, avait écrit vingt ans avant H.H. le dernier en date des ouvrages sur la question. Il avait plus de quatre-vingts ans – il devait mourir un an plus tard – quand je lui envoyai ce livre, où sa théorie de la caste était brièvement récusée (p. 8). Il répondit aussitôt par un billet de félicitation, regrettant d'être empêché par l'âge d'entreprendre immédiatement la traduction de l'ouvrage pour le bénéfice des Indiens qui ne lisent pas le français.
Quelques années plus tard, un homme fort respecté que je connaissais à peine, Nirmal Kumar Bose, anthropologue, administrateur dévoué et gandhiste convaincu – souvenons-nous que Gandhi avait une théorie égalitaire des castes, ou du moins des varnas –, plus jeune que Hutton mais lui aussi guetté par la mort, ayant lu le livre en traduction anglaise, m'envoyait à son tour son adhésion sous la forme d'un long compte rendu, écrit pour sa revue Man in India et publié par ses amis dans un journal de Calcutta, où il n'émettait que des réserves de détail2. Voilà deux cautions dont H.H. peut s'enorgueillir, et l'on aimerait parfois retrouver davantage de l'ouverture d'esprit de ces deux vétérans chez leurs successeurs peut-être plus modernes mais souvent moins expérimentés.
Extraits
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