#Essais

Révolution numérique, révolution culturelle ?

Rémy Rieffel

Après l'ère des prophéties sur le basculement de l'humanité dans une condition numérique qui serait sa nouvelle essence, voici venu le temps des premiers bilans. Sommes-nous aujourd'hui les témoins et les acteurs d'une troisième révolution industrielle - après une première fondée sur l'essor de la machine à vapeur et du chemin de fer, puis une deuxième symbolisée par l'exploitation de l'électricité et du pétrole ? Force est de constater qu'on assiste à chaque fois à l'apparition de grands réseaux (chemin de fer, électricité, Internet) et de grandes figures d'innovateurs (James Watt et sa machine à vapeur, Thomas Edison et son empire industriel, Bill Gates et son entreprise Microsoft) et en outre de l'émergence d'un imaginaire qui voudrait promouvoir la naissance d'une nouvelle humanité. A partir du domaine de la culture (cinéma, photographie, livre, musique, arts, presse, radio, télévision...), Rémy Riffel prend l'exacte mesure de cette révolution dans les rapports à nous même et aux autres, dans l'accès au savoir ou aux connaissances, dans le rapport à l'information et à l'argumentation : est-ce une rupture, non seulement technologique, mais anthropologique et culturelle de nos sociétés, ou bien à une nouvelle transformation de nos usages des moyens de communication comme l'humanité en a connu à plusieurs reprises au cours de son histoire ? Simple changement d'échelle ou véritable changement de nature, dans un univers où s'affrontent des valeurs d'émancipation et d'ouverture d'un côté et des stratégies de contrôle et de domination de l'autre ?

Par Rémy Rieffel
Chez Editions Gallimard

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Genre

Sociologie

 

 

 

 

 

Introduction

 

 

L’essor des technologies et des supports numériques au cours de ces dernières années (la connexion Internet à haut débit, les ordinateurs et téléphones portables, les smartphones, les baladeurs numériques, les tablettes, les liseuses, l’univers des applications, sans oublier les blogs, les podcasts, les flux RSS, YouTube, Facebook, Twitter, etc.) est si fulgurant que ces derniers sont en train d’envahir peu à peu tous les secteurs de l’activité humaine. Ces nouvelles technologies ont en effet de fortes incidences sur notre vie quotidienne puisqu’elles modifient par exemple nos pratiques d’achat (la vente en ligne, les échanges de biens), notre rapport à l’information (les sites en ligne), aux connaissances (encyclopédies, dictionnaires, articles de vulgarisation ou autres, immédiatement accessibles), à la santé (consultation de sites spécialisés). Elles transforment également notre vie professionnelle (nouvelle organisation du travail, mobilité, gestion plus souple des horaires) et nos modes de loisirs (téléchargement de musique, de films et de vidéos, écoute en différé d’émissions de radio et de télévision, lecture de livres sur écran). Elles touchent enfin à notre intimité et à notre identité personnelle (présentation de soi sur les réseaux sociaux, utilisation de pseudonymes, d’avatars) et changent le périmètre de nos réseaux de sociabilité (liens, discussions, partages, avec autrui). La liste est loin d’être exhaustive et témoigne des profonds bouleversements à l’œuvre dans le domaine du commerce, des services, du travail, de l’enseignement, de la culture, des médias. Ces transformations affectent aussi d’autres sphères telles que celle de l’État, de l’administration, de l’économie, de la géopolitique, de l’urbanisme — inutile d’en faire une recension complète.

L’ampleur du phénomène est telle qu’elle a évidemment suscité une surabondance d’analyses, de commentaires et de prises de position pour le moins divergents, pour ne pas dire contradictoires, sur notre nouvelle « condition numérique »1. Les plus enthousiastes vantent les extraordinaires potentialités d’Internet en insistant sur l’accès immédiat (et souvent gratuit) à une quantité infinie de données, d’informations, d’œuvres en tous genres et sur l’intensité des échanges et des relations entre internautes, la richesse et la diversité des nouveaux usages possibles. Tel est par exemple le cas de Michel Serres2 qui s’émerveille de l’intelligence inventive dont font preuve les jeunes générations immergées dans le numérique et de la façon dont, selon son expression, « Petite Poucette » (la dextérité avec laquelle on envoie des messages avec son pouce) redéfinit nos manières de vivre, d’être et de connaître au point de constituer un basculement comparable à la fin de l’Empire romain ou de la Renaissance. Les plus alarmistes s’inquiètent en revanche de l’emprise du numérique sur nos vies, soulignent l’appauvrissement des relations par écran interposé, pointent du doigt les phénomènes d’addiction, mettent en garde contre les dangers de manipulation et de surveillance généralisée. Tel est par exemple le point de vue de Cédric Biagini3 qui appelle à lutter contre le conformisme technologique et ses logiques individualisantes, à sortir de l’hypnose numérique dans laquelle nous serions plongés et à nous arracher à la servitude volontaire à des dispositifs marchands. Comment y voir clair dans ce maquis de points de vue aussi dissemblables et l’enchevêtrement de discours tantôt lyriques, tantôt menaçants ?

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09/10/2014 348 pages 8,70 €
Scannez le code barre 9782070451722
9782070451722
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