#Roman francophone

Rouge gueule de bois. Derniers jours de Fredric Brown

Léo Henry

Arizona, été 1965. Fredric Brown, cinquante-huit ans. Écrivain. Myope, asthmatique, cacochyme. Aime les privés en imper, la gaudriole et les aliens narquois. N'a pas tapé une ligne depuis des mois. Alcoolique. RogerVadim, trente-sept ans. Réalisateur. Trois mariages, deux divorces, quatre compagnes. Aime la vitesse, les liqueurs fortes, les filles toutes nues. Vit avec Barbarella. De la rencontre des deux hommes germe le plan d'un crime parfait. Mais le destin est contrariant et c'est une course-poursuite déglinguée qui s'engage, des hauts du Nouveau-Mexique aux déserts de Basse-Californie. Tueuses sexy, carrosseries froissées, drogues récréatives et musique pop : Brown et Vadim percent une Amérique à feu et à sang, affrontant mille périls sans jamais lâcher le shaker. Au terme de la route les attendent leurs propres fantômes et la fin du monde.

Par Léo Henry
Chez La Volte

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Editeur

La Volte

Genre

Littérature française

« La vie c’est beau (la mort aussi, d’ailleurs ; la mort c’est magnifique ; c’est un renseignement qui me vient d’un Espagnol). La vie c’est beau, mais ça ne fait qu’une moitié, la vie avec la mort, ça fait une chose complète. On a l’envers avec l’endroit. On peut tourner autour. »

Alexandre VIALATTE Chroniques de La Montagne.

Il s’éveilla d’un rêve d’échecs, de mitraillade et de désolation. Un temps il s’espéra ailleurs, loin du blanc exaspérant du plafond de sa chambre à coucher. Puis il entendit, depuis le bureau, le crépitement de l’IBM, et sut qu’il était malade.

Fredric Brown émergeait à Tucson, Arizona, ce qui était une bonne chose, dans la mesure où c’était dans cette ville qu’il avait sombré la veille. Il ne savait plus s’il avait perdu conscience sur le porche arrière ou le linoléum faux marbre du séjour. Il avait, pour tout dire, et sans préciser encore comment ni avec qui, un peu trop bu.

Il resta sans bouger, mimant la mort, espérant faire refluer la nausée jusqu’à ses orteils et, de là, l’amener à couler dans le lit pour s’éponger dans le matelas. À chaque bout de ligne, cependant, la sonnette de la machine à écrire avertissait de l’imminence d’une fin. Alors le ding tintait, roulait et venait résonner dans le tambour d’acier qu’était devenu son crâne. Beth travaillait.

« Bien bien bien », songea Fred en serrant un coin de drap dans son poing moite.

Ça voulait dire qu’il avait une chance de passer du lit à la cuisine sans être vu. Et peut-être le temps de se servir un verre avant d’attirer son attention. Il faisait très chaud, déjà. Il avait grand soif.

Fredric attendit le staccato régulier marquant une phrase longue pour bondir hors du lit. Le sol tangua, mais une main sur le chambranle remit le monde d’aplomb et, avant de s’en rendre compte, il était de l’autre côté de la maison. Il gémissait dans la lumière aveuglante qui rinçait les pièces, à peine filtrée par des mousselines jaunies aux tringles. C’est à tâtons qu’il attrapa le mug, à l’instinct qu’il tira la vodka du freezer.

Le martèlement avait cessé, remplacé bientôt par le trottinement des espadrilles. Puis la voix de Beth :

— Poussin ? Tu es réveillé ?

Brown sentit monter en lui une bouffée d’autoapitoiement, pris du désir soudain de se recroqueviller et de se noyer dans ses propres larmes. Mais il aperçut, au tout dernier moment, la brique de jus d’orange sur le plan de travail, et sut que l’existence, temporairement, redevenait tolérable.

Si Elizabeth le suspecta, elle n’en laissa rien paraître. Fred vidait son Screwdriver improvisé à grandes goulées. À vue d’œil, le tremblement de sa main s’apaisait. Le goût était abominable, l’effet souverain, et quand il déplissa les yeux sa légendaire lucidité était en train de reprendre le contrôle des centres nerveux.

Beth était en peignoir et portait ses rouleaux, casquée d’un filet comme d’une crépinette. Cela voulait dire que nous étions vendredi, jour de bingo chez Miranda Nelson. Et cela signifiait que la veille, jeudi, il avait dû finir au Dotted Lion avec Perry, qu’il y avait laissé la Chevrolet pour rentrer à pied comme chaque fois, et que le patron allait se foutre de sa gueule quand il irait la reprendre. Elizabeth s’était assise. Elle alluma une cigarette.

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24/03/2011 333 pages 18,00 €
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