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Aux côtés d'Alberto Savinio. Souvenirs et lettres

Maria Savinio

AUX CÔTÉS D'ALBERTO SAVINIO. D'Alberto Savinio (1891-1952), écrivain, musicien et peintre, né Andrea De Chirico et frère cadet de Giorgio, on connaît l'ironie grinçante et le goût du bizarre, l'esprit métaphysique et le sens du fantastique. Un personnage différent, plus tendre et parfois totalement inattendu, se profile dans ce livre, et notamment dans sa correspondance amoureuse avec sa femme Maria : on y lit les déclarations enflammées d'un Savinio fou amoureux et, au fil des lettres, qui couvrent la totalité de leur vie commune, apparaît le lien serein et profond tissé entre eux. Maria Savinio consacre un long texte à sa rencontre et à sa vie avec l'artiste, qu'elle épousa en 1926, évoque leur histoire d'amour, les années de vache maigre à Rome puis à Paris, les premiers succès de peintre de Savinio, leurs amitiés (Cocteau, De Pisis, Max Ernst, les Éluard...) et les détails savoureux et intimes d'une vie de création réinventée jour après jour. Contrepoint " réaliste " à d'autres évocations plus idylliques, le texte de Savinio intitulé Silence (dans le mariage), figure en fin d'ouvrage comme un codicille ironique où l'on a le sentiment de retrouver le personnage habituel. Que met en lumière dans sa postface Leonardo Sciascia, insistant sur la pudeur et la discrétion de son ami Savinio. Les lettres d'Alberto Savinio, illustrées de sa plume, sont inédites en français.

Par Maria Savinio
Chez Sabine Wespieser Editeur

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Genre

Beaux arts

C’est par cette lettre qu’Alberto Savinio m’a demandée en mariage :

« Non seulement tu es tout pour moi, mais tu es un tout si beau, si élevé, si inespéré, que je n’aurais jamais imaginé rencontrer cela au cours de ma vie. Or ce tout il m’est impossible d’y penser, impossible de le penser comme quelque chose de momentané, de fugitif, de transitoire. Il ne doit pas, et ne peut pas, en être ainsi. C’est pour cela Maria - écoute-moi bien - , c’est pour cela que j’en suis arrivé à la ferme et inébranlable conviction que nos deux existences ne doivent plus s’écouler séparément. Quant à la modalité, une seule est digne de nous, et pas seulement de nous. Je ne prononcerai pas le mot, car ce mot, dans notre langage à nous, pourrait prêter à rire... mais déjà tu l’as reconnu, et cela dès la première lettre que je t’ai écrite, Maria.

« Certes - c’est vrai - il y a contradiction entre la chose que je viens d’exprimer et les exigences de la vie de l’un et de l’autre, exigences qui selon toute apparence semblent empêcher que ladite chose se réalise à la manière qui est en usage chez les gens ordinaires. Qu’importe. Et serions-nous par hasard des gens ordinaires, nous ? Bien sûr nous aurions de temps en temps à supporter l’éloignement, mais ce serait, alors, une tout autre chose. Et puis par la suite, qui sait, la Providence pourrait intervenir. 

« Ce que je te dis, Maria, te démontre combien j’ai longuement pensé ce château en Espagne et combien j’en ai étudié les différentes possibilités. La chose, donc. Avant tout pour que personne n’y trouve à redire et pour le respect que nous devons à qui tu sais. Mais aussi, Maria, laisse-moi te le dire : pour moi. Car ce sera si beau de pouvoir déclarer que je consacre ma vie tout à toi. Et puis, pas question de renoncement de ta part, tant pour le respect et la liberté que nous nous devons à nous-mêmes, que pour l’amour que je te porte - qui n’est pas simple, qui est même très complexe puisqu’il implique l’art, l’intelligence et le destin singulier de l’un comme de l’autre. 

« Maria, je ne sais quoi dire d’autre. Tout le reste s’exprime en un seul mot : la foi. Maria, je te demande pardon de cette lettre pro- gramme. Tu m’as dit que je suis courageux quand j’écris. Si tu savais ma fatigue ce soir ! Bonne nuit, Maria. Je me sens tout léger. Je baise tes deux mains. Alberto. » 

 

Nous nous sommes mariés le 26 janvier 1926 et ensemble nous avons vécu vingt-six années, unis par un amour pro- fond et tenace, jusqu’au dernier jour de sa vie. Quand nous nous sommes rencontrés, Savinio avait depuis peu fêté ses trente-cinq ans, moi je n’en avais pas encore vingt-cinq. Savi- nio était maigre, brun, un peu moins grand que son frère, Giorgio De Chirico. Son regard noir et pénétrant, souvent voilé d’une secrète pudeur, voyait tout, la moindre nuance, dans une situation, dans un paysage ou dans un visage. Il était d’un caractère gai, toujours bien disposé à la plaisanterie. C’était un blagueur-né. Il a d’ailleurs écrit : « La blague, j’entends par là le jeu sur le double sens, est l’ennemi naturel de l’idée fixe - qui en revanche est le fondement de la dictature », et il disait : « Homère, il faudrait le redécouvrir selon cette clé-là. » 

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29/10/2002 233 pages 24,35 €
Scannez le code barre 9782848050058
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