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Littérature étrangère
L’autre soir je regardais le programme organisé par la télévi- sion américaine pour fêter la remise à neuf de leur Statue de la Liberté. Les présidents Reagan et Mitterrand assistaient à l’évé- nement, avec une foule de gens qui visiblement pelaient tous de froid sur un quai venteux du port de New York.
C’était fascinant, comme toujours, de voir ce qu’une nation choisit de montrer lorsqu’elle veut exprimer ce qu’elle est. Vous vous rappelez la fois où des millions de regards nous observaient à Ballyporeen quand nous - ou un type quelconque - avons décidé de faire appel à Derek Davis et je ne sais quelles petites dan- seuses irlandaises pour résumer l’âme de l’Irlande lors de la visite de Reagan dans la ville de ses ancêtres ? Les Américains ont beaucoup plus d’aplomb que nous quand ils donnent dans le showbiz patriotique, et c’est bien légitime. N’empêche, du point de vue européen, ce week-end de la Liberté était on ne peut plus bizarre.
Pour commencer, les stars de l’écran - la famille royale amé- ricaine - interprétaient des rôles surprenants. Le président Mitterrand avait pour présentateur un homme d’État bien connu, Gregory Peck ; Robert De Niro, armé d’un micro qui ne marchait pas, présentait le ministre de la Justice, qui à son tour faisait prêter serment d’allégeance à des milliers de nouveaux citoyens en multiplex dans tout le pays.
Cette cérémonie aurait pu être le grand moment d’émotion de la soirée. La Statue de la Liberté représente les millions d’immi- grants qui ont fondé l’Amérique moderne, et la citoyenneté américaine reste aujourd’hui le but, l’aspiration quasi religieuse de millions de gens aux quatre coins du globe. Tandis que les caméras faisaient un panoramique des nouveaux citoyens, on pouvait voir au moins une raison qui rend l’Amérique synonyme de liberté. Ils étaient là, des gens de toute forme, taille et couleur, qui ne connaissaient pas les mots du serment, bâillaient, se bousculaient, vêtus à la diable. Personne ne les avait dressés à bien se tenir. Les voilà maintenant, comme les premiers immi- grants, libérés des princes et des évêques et de l’oppression de classe. Ils sont égaux ; les vieux pays d’Europe, même les plus socialistes, n’ont jamais atteint cet idéal. Bien sûr, en disant cela, on laisse de côté les questions que soulève l’ouverture du spec- tacle par un petit Noir chantant l’hymne national.
Andy Williams et Mireille Mathieu ont fait une démonstration de détente cordiale. La caméra ne s’est jamais arrêtée sur la secrétaire d’État aux Transports - je n’ai pas compris pourquoi elle faisait un discours - de sorte qu’on ne l’a jamais vue. Dansé avec une précision digne des chorégraphies de Busby Berkeley, « I want to be in America » nous a donné l’exemple d’un des plus beaux arts américains. Bob Hope s’est vu décoré d’une médaille en même temps qu’Elie Wiesel, le chroniqueur de l’Holocauste, Mr Wang le roi de l’ordinateur, Kissinger, une femme alibi, et Irving Berlin, type parfait de l’immigrant qui a réussi mais auteur également de « White Christmas », l’hymne populaire américain.
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