juin 1972
HERVÉ
Lundi 19 juin 1972
Chers X…,
Mon frère Hervé, 25 ans, ingénieur en informatique, et sa femme Nathalie, 25 ans, étaient dans le train de Laon, dont les voitures devinrent un bloc de ferraille vendredi 16 juin à 21 heures.
Nathalie a été dégagée le dimanche 18 vers 4 heures du matin. Elle était morte. Elle tenait dans ses bras un garçon de 8 ans : Marc (le fils de Nadine et Serge R., mes amis). L’une et l’autre avaient été tués sur le coup.
Mon frère Hervé a été dégagé bien avant Nathalie : samedi vers 5 heures du matin. Inconscient pendant une demi-heure, il attendit huit heures. Des tonnes de fer pesaient sur ses jambes, mais il est extrêmement robuste (pilier de rugby). Hier, dimanche 18, il a été transporté de l’hôpital de Soissons à l’hôpital Lariboisière. Rein artificiel. Interventions chirurgicales. Samedi je l’ai vu indemne. Il est probable qu’il va mourir.
Mon neveu Sébastien a 5 ans.
H.L.
Pas encore aujourd’hui, dimanche 2 juillet, la minute de son enterrement avant-hier vendredi, Hervé « n’est plus ». Il ne vit pas, nous le savons. Je l’ai vu mort le mardi 27 au matin, le jeudi 29 et le vendredi quand l’extrémité de la plaque du cercueil allait être glissée. Boulons d’or. Image déplacée du jeune dont l’austérité semble un avatar qu’il a choisi.
Des vivants le pleurent. Intermédiaires entre une émotion qui se cherche, qui cherche, … et HERVÉ.
NATHALIE est toute absence. Nathalie généralisée. Elle s’est retirée (effacement). Elle n’est pas sous terre (sous de la terre) : aucun de nous n’a vu l’enterrement de Nathalie. Pourtant, sa sœur Dominique a noté que le lendemain un paquet de mouches était contre la terre fraîche ; alors penser au Midi, à la Provence, cigales, minces chemins secs…
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Pas encore Hervé n’est « n’est plus ».
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À une vitesse lumineuse – et notre ignorance – aujourd’hui encore nous fonçons – galaxie Soleil planète –, sur (de) peu de matière, dans l’intersidéral.
Les lames – corne, voix – d’oiseaux inconnus (mais non aigles), mal dénombrables. Grotte, maison, multiples trous de pierre, Lancinance-Lever. Le jour, du soleil, rester dans le linge du lit.
Tempes d’eau, la brique céramique, nu, dans la baignoire, au plus seul. 3 points oubliés (ma vie cachée) sur le haut de mon bras… SOUDAIN ils ont un sens : marque Hervé cette même essence géométrique – compas, sextant –, points venus chez lui en altitude sur le cou de sa joue.
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Comment il est :
Ses dents telles récifs, découpées de toutes les sucreries qu’il bouffe, moqueur ; l’alerte tranquillité quand il pose le problème (sa main large) et avance, ses cuisses de Rugby sous la table ; logique, opère, conclut.
Comment elle est :
Un peu plaintive ? Vers moi elle se tourne amicale, le nez fin, la boucle sébastienne.
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Extraits
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