Le Roman du parfum

Préambule

Longtemps, j’ai caressé le projet de tirer un roman de ma rencontre au-dessus des nuages avec Tony Curtis et une adorable inconnue. La star soufflait ses derniers printemps et la jeune femme amorçait une carrière dans le parfum.

Monsieur Tony Curtis s’en est allé le 29 septembre 2010.

Ce fut le déclic.

À Grasse, lors de la Fête de la Rose de mai, j’ai croisé la fille aux allures d’Audrey Hepburn. L’accoster ne fut pas une mince affaire.

Cet après-midi là, une averse vola à mon secours. Nous étions tous deux abrités sous l’auvent d’un libraire en face du Musée de la Parfumerie. Je me suis rappelé à son bon souvenir. Elle s’est figée sur le trottoir. D’une voix mal assurée, je lui ai demandé de me raconter son voyage avec Tony Curtis comme on sollicite un « petit service ». Ces deux mots entre guillemets semblaient avoir été la bonne clé de serrure. Elle acceptait à une condition indiscutable : ne pas révéler son identité. Je m’y suis tenu.

Le ciel grondait.

Sous une pluie battante, j’ai senti une belle histoire d’amour qui passe sous le nez d’un auteur que peu de fois au cours d’une vie.

Le Tony Curtis que vous découvrirez tiendra le second rôle. Il sera notre fil conducteur et joyeux professeur émérite. Les quelques chapitres qui lui sont consacrés sont conformes à la réalité puisque les noms, les lieux, et les événements ont été scrupuleusement puisés dans son histoire. C’est avec ses misères et sa popularité que j’ai souhaité brosser ce portrait peu ordinaire qui restera, sans doute, proche de la sincérité. J’espère simplement qu’en regardant un de ses films, vous y verrez, au-delà de l’écran, les cicatrices et les joies d’un comédien à la fois tourmenté et irrésistiblement sympathique.

Dans les pages qui suivent, j’ai conservé ce qui me semblait précieux : un improbable duo où parfum et cinéma s’entremêlent, restituant à fleur de peau conversations et impressions olfactives.

Cette balade en terre des odeurs sera ma déclaration au parfum, à cette goulée de vie sans retenue qui inonde nos sens au premier jour.

Au final, se parfumer, n’est-ce pas entrer dans le jeu de la séduction ? Sinon, pourquoi les odeurs auraient-elles tant d’importance ?

Ne doutez plus, l’humain est un être de parfum.

Pascal Marmet

Shalimar

Voyez-vous, un parfum éveille la pensée

Victor Hugo

« Votre attention s’il vous plait ! Le passager Nicollini est attendu en porte 30 avant fermeture du vol AF8395. Embarquement immédiat pour Los Angeles … »

En entendant mon nom dans les haut-parleurs, j’ai sursauté. Mon livre m’a échappé. Sous le siège de mon volumineux voisin engoncé entre ses accoudoirs, mon surligneur a roulé. En mordillant ma lèvre inférieure pour m’empêcher de jurer, j’ai rassemblé mon fourbi éparpillé sur la table, avalé le reste de mon croissant, bu mon Earl Grey d’une traite en abandonnant tout espoir de récupérer mon stylo.